Quand la compassion rend malade

La compassion est une qualité attendue des personnels de soins. Mais à force d’être sollicitée, elle les use et les fragilise.

« Bien sûr, il y a tous ces bouts de chou qui viennent nous dire au revoir, un jour. (…) Au début, ils étaient mon rayon de soleil : quand ça n’allait pas, je pensais à eux et je me disais, c’est normal, c’est à ça que tu sers. Mais là, j’ai du mal. Parce qu’il faut bien l’avouer, on ne les guérit pas tous (…). Non, moi, là, j’y arrive plus. »

Jamila est infirmière en oncologie pédiatrique. Comme nombre de ses collègues, elle est à bout. Il faut les entendre, une fois leur interlocuteur apprivoisé, se confier et baisser la garde, pour mesurer toute leur détresse. Malmenés par un système de santé en révolution permanente depuis des décennies, accusé de coûter trop cher et de ne finalement pas soigner aussi bien que cela, les soignants craquent…

La fatigue compassionnelle, une clinique de l’usure

Dans nombre de métiers – ceux du care notamment –, la compassion est devenue une compétence clé. L’une de celles qui, à côté des compétences théoriques et techniques, permettent de faire la distinction entre un professionnel et un bon professionnel. Alors que l’empathie pourrait être résumée à la capacité de percevoir ce que ressent autrui, ses émotions ou sa douleur par exemple, la compassion est cette aptitude non seulement à me laisser affecter par un autre que moi, nous dit Paul Ricœur 1, mais aussi à me mettre en mouvement pour venir en aide à cet autrui en souffrance, sans me substituer à lui mais en continuant au contraire à lui reconnaître son statut de sujet agissant et autonome. La compassion me fait tendre vers autrui, et cette dimension à la fois relationnelle et intentionnelle se révèle sollicitude, souci d’un autre auquel me relie notre commune vulnérabilité 2. L’on perçoit bien que ce lien est aussi une ligne de fragilité menaçant de rompre à tout moment, usée à force d’être sollicitée.