Il existe bien des raisons d’aimer son travail. Et à peu près autant de le détester. Et ce sont souvent les mêmes.
Pourquoi travaille-t-on ? D’abord, pour gagner sa vie (payer son loyer, remplir son frigo, se soigner, nourrir sa famille et s’offrir des distractions). C’est mieux de le faire avec un job qui nous convient et que l’on a choisi : c’est ce que les psychologues nomment « motivations intrinsèques ». Autant travailler, aussi, avec des gens avec qui l’on se plaît : c’est un motif central du plaisir au travail.
Mais il est rare que l’on coche toutes les cases : un bon salaire, un métier épanouissant et des collègues formidables… Et lorsque ces attentes sont frustrées, la motivation peut rapidement s’émousser.
Une première source de frustration vient des nombreuses pressions économiques auquel le travail est soumis. Aujourd’hui, plus aucun secteur n’est épargné ; que l’on soit agent d’assurances ou policier, infirmière ou journaliste, agriculteur ou DRH, les tensions sont fortes : les exigences de rentabilité ou tout simplement de survie pour les entreprises, les économies budgétaires pour le secteur public engendrent mécaniquement une augmentation des charges de travail. Partout, il faut « faire plus avec moins ». À cela s’ajoute le management de l’urgence (lean management) qui impose la réactivité permanente. Et quand le rythme de travail et la charge sont trop élevés, le travail le plus épanouissant devient un pensum. C’est le cas pour cette employée d’Ehpad qui a choisi un métier pour le contact avec les personnes âgées mais qui, faute de personnel au sein de l’établissement, n’a plus suffisamment de temps à consacrer à chacun.
Une seconde cause de la démotivation est liée aux relations humaines. Nous autres humains sommes des animaux sociaux avides de contacts, de reconnaissance, de gratifications morales. Mais ces contacts humains sont aussi sources de tourments. Il suffit que les relations se détériorent – avec un supérieur, un collègue ou un collaborateur – pour que le bureau ou le chantier devienne un enfer. Sophie a vu débarquer dans son service (un laboratoire médical), une collègue qui ne partage pas sa vision du travail ni ses priorités. Marlène opte pour le « vite fait, bien fait » alors que Sophie, perfectionniste, préfère prendre le temps de faire les choses pour ne jamais être en défaut. Résultat : en quelques semaines, Marlène a reçu les louanges de la direction, tandis que Sophie s’est sentie remise en cause. Les relations se sont détériorées entre les deux, au point que Sophie, écœurée, a songé à donner sa démission.
Même les motivations dites « intrinsèques » – cuisiner pour les uns, conduire un camion ou s’occuper d’enfants pour les autres – finissent aussi par s’user. Avec l’expérience ou la routine, quand on a « fait le tour » de son métier, la magie finit par s’envoler. Les histoires de travail sont aussi des histoires d’amour. Elles ne résistent pas toujours au temps et aux épreuves.
Condition de travail, contact humain, contenu du travail : les causes de la démotivation et de la motivation sont souvent les mêmes. Et quelques leçons simples peuvent être tirées de ce constat.
Premier constat, la motivation au travail résulte d’une alchimie complexe. La « motivation intrinsèque », le « sens », la reconnaissance, la confiance sont sans doute des ingrédients essentiels, mais aucun ne saurait suffire à donner cœur à l’ouvrage si les conditions de travail ou les relations de travail se sont dégradées. « La motivation n’est pas un état stable, mais un processus, toujours remis en question », écrivait Claude Levy-Leboyer 1. Les facteurs de la motivation sont toujours multiples, changeants, et forment un cocktail dont les ingrédients se combinent, s’épuisent et se renouvellent au fil du temps, en fonction des réussites ou des échecs, des contacts plus ou moins heureux, des conditions de travail qui se détériorent ou s’améliorent.
Conséquence : pour faire face à la démotivation, il est vain de s’en remettre à une recette unique, mais, inversement, la diversité et l’enchevêtrement des mobiles humains permettent justement de redynamiser une motivation en panne.
Trois manières de faire
Face à la frustration, le sociologue Albert Hirschmann enseignait que les êtres humains disposent de trois stratégies : la contestation, l’évasion ou l’acceptation (voice, exit, loyaltie). La psychologie du stress dit quelque chose de similaire avec ses trois façons de faire face à une épreuve : combattre, fuir ou subir.
Affronter
En cas de frustration, une première réaction humaine fondamentale consiste à affronter le problème en s’attaquant à ses sources supposées : mauvaises conditions de travail, charge de travail trop élevée, organisation défaillante, mode de management perturbant, tension entre personnes, etc. La gamme des réactions possibles dépend bien sûr de sa position sociale (employé, dirigeant, cadre intermédiaire ou indépendant), de la stratégie (action collective ou individuelle, affrontement ou dialogue), des marges de manœuvre (économiques, organisationnelles, managériales). Mais en ces temps où on valorise beaucoup le « lâcher-prise » et la psychologisation des problèmes, il est bon de rappeler aussi les vertus de l’action, quelle qu’elle soit. Les conflits ne sont certes pas de nature à booster la motivation et la confiance. Mais il arrive aussi que des affrontements soient l’occasion de crises salutaires qui permettent de sortir des impasses.