Quand on aime, on ne compte pas...

Souvent tenu à distance dans les discours, l’argent se révèle pourtant une composante importante du lien conjugal.

« L’argent ? On n’en parle pratiquement pas », me répond Edgar. Lorsque je lui rétorque qu’il faut bien gérer les dépenses du foyer, il admet difficilement que bien sûr, ils ont un compte joint, sans toutefois qu’aucune règle ne paraisse régir la manière dont lui et sa compagne l’approvisionnent. Sous la pression de mes questions, il ajoute avec un sourire : « Moi, je mets une somme fixe chaque mois et Laure…, c’est un peu quand elle veut ou quand elle peut… »

Cette réticence à parler des affaires d’argent s’observe dans beaucoup de couples. Comme si, en amour, l’argent était interdit de séjour. « Les patients qui viennent consulter en thérapie abordent plus spontanément la question de la sexualité que de l’argent partagé », constate le psychanalyste Bernard Prieur 1.

« Dans leurs propos, les couples rejettent explicitement tout ce qui est calcul interpersonnel, considéré comme contraire à l’idéal amoureux », ajoute de son côté la sociologue Caroline Henchoz, auteure d’une vaste enquête réalisée en Suisse  2.

Dans l’idéologie de l’amour romantique qui s’est imposée au cours du 20e siècle, seuls les sentiments seraient censés cimenter le couple. Mais alors, comment se bricole l’économie familiale ? En 2010, selon l’Insee, 64 % des couples déclaraient mettre leurs revenus totalement en commun, les autres se répartissant pour moitié (18 %) entre ceux qui déclaraient une mise en commun partielle en fonction des salaires de chacun (logique de redistribution) et ceux (18 %) qui maintenaient leurs revenus totalement séparés (logique égalitaire) 3. Mais toutes les enquêtes récentes révèlent une érosion de la mise en commun des biens, caractéristique des couples mariés et/ou avec enfants. Ce sont surtout les plus jeunes, et les couples les plus diplômés où le niveau de vie est élevé qui optent pour d’autres modes d’organisation. Pour autant, entre normes d’hier et modèles d’aujourd’hui, la répartition des ressources dans les couples est-elle aussi neutre que l’on voudrait nous le faire croire ?