HISTORIQUEMENT , c'est aux Etats-Unis, lors de la « grande dépression » des années 1930, que la question des « poor workers » est devenue une préoccupation de politique publique. Dans le contexte de chômage massif de la période, deux types de mesures avaient été mis en oeuvre : d'une part, sur un plan pragmatique, une distribution importante d'aides directes aux chômeurs ; d'autre part, dans une logique associant la pauvreté au manque de travail, la création d'emplois spécifiques. Ces deux axes profilent les constantes de l'intervention sur la pauvreté aux Etats-Unis : aider les pauvres, mais surtout les aider à accéder à l'emploi. Une autre constante, « morale », est également présente dans l'idée que celui ou celle qui travaille (suffisamment) ne peut être pauvre ? et, corrélativement, ceux qui restent pauvres sont en grande partie responsables de leur sort ?, associée à la crainte qu'une aide généralisée ne dissuade de travailler. Cette idée trouve toujours un écho, pas seulement aux Etats-Unis : en France par exemple, 53 % des personnes interrogées dans une enquête d'opinion en 2001 1 estimaient que la pauvreté peut s'expliquer par le fait que les gens ne veulent pas travailler.
États-Unis/France : deux systèmes différents
Aux Etats-Unis, la Seconde Guerre mondiale fera passer la pauvreté au rang des problèmes de second ordre, mais la question reviendra dans les années 1950, avec le constat de la résistance de la pauvreté dans une société de richesse 2... et de quasi plein emploi. Des économistes émettent alors des doutes sur l'efficacité du travail comme remède à la pauvreté, alors même que les pauvres travaillent déjà : en 1962, 70 % des familles pauvres avaient au moins un membre salarié ou au travail, et 23 % en avaient deux ou plus 3. Les politiques publiques s'orientent alors dans la voie de l'aide aux travailleurs pauvres avec, dans les années 1970, la mise en place d'un système de crédit d'impôt. Moralement acceptable, car il « récompense » les pauvres qui font l'effort de travailler, ce dispositif permet en outre d'éluder la question du lien entre la faiblesse des salaires et la pauvreté.
En France, dans la même période, la situation est assez différente, en grande partie en raison de l'existence d'un salaire minimum et de systèmes d'indemnisation du chômage et de protection sociale plus étendus. Il y a des pauvres 4, mais l'étendue de la pauvreté donne lieu à des estimations très variables ; le système français de protection sociale, organisé par risque (vieillesse, maladie, handicap, invalidité, etc.), se réfère à des catégories définies sans considérer la pauvreté dans son ensemble. Ce n'est que dans les années 1980, notamment avec les débats autour de la mise en place du RMI, que la question de la pauvreté s'imposera dans le débat politique et social. La montée du chômage puis son maintien à un niveau élevé font alors parler des « nouveaux pauvres », c'est-à-dire de la pauvreté de catégories qui étaient jusque-là relativement épargnées, l'accent étant mis sur le risque de pauvreté lié au chômage. Mais c'est surtout dans les années 1990 que s'affirme la thématique des travailleurs pauvres, avec des études qui montrent que les actifs peuvent être pauvres.