Le « socle commun de connaissances et de compétences » a été présenté par les médias comme la principale nouveauté du rapport de la Commission nationale pour l’avenir de l’école. Cette idée de doter tous les élèves d’une culture commune, d’un socle fondamental ou d’un socle commun de connaissances, n’est pourtant pas nouvelle. Elle remonte au plan Langevin-Wallon de 1947. Près de trente ans plus tard, le collège unique a été instauré par la loi Haby sans que la question des contenus d’enseignement ait été réglée. Les syndicats enseignants avaient alors marqué leur opposition en brandissant le risque d’un smic culturel qui allait détériorer la qualité de l’enseignement et abaisser le niveau d’exigences de l’école. En 1994, le Conseil national des programmes, dans son rapport « Idées directrices pour les programmes du collège », a de nouveau proposé l’idée de définir un socle commun de connaissances. Dernière étape en date de ces rebondissements, la loi d’orientation et de programmation pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005, qui a finalement abouti aux recommandations faites par le Haut Conseil de l’éducation et à la signature du décret définissant le socle commun le 26 juin 2006.
Une nécessité pédagogique
Questionner les contenus ou les programmes d’enseignement est en fait une préoccupation récente. Elle serait apparue parfaitement incongrue ou presque dans les années 1960, tant la réponse était évidente : à l’école, lire, écrire et compter ainsi qu’acquérir les règles élémentaires de la morale ; à partir de la sixième, les humanités (latin, grec…) et, pour certains, des enseignements scientifiques. L’enseignement secondaire (15 % d’une génération obtenaient le baccalauréat en 1970) avait pour objectif de transmettre un patrimoine culturel à celles et ceux qui constitueraient l’élite de la nation.
Ce bel ordonnancement a volé en éclat au milieu des années 1970. La culture patrimoniale n’était pas suffisante pour relever le défi des nouveaux enjeux économiques. Plus que des spécialistes du thème grec ou de la version latine, l’économie de notre pays avait besoin de techniciens supérieurs, spécialistes de l’électronique ou du bâtiment. Dès lors, les sollicitations vis-à-vis de l’école ont été de plus en plus nombreuses et variées : éducation à la santé, à l’image, à l’environnement, à la citoyenneté, à la sécurité routière (1), à l’informatique, à Internet (2), etc.
Ces deux évolutions paradoxales – d’un côté, une suspicion grandissante face à l’incapacité prétendue de l’école de remplir ses missions et, de l’autre, un recours de plus en plus fréquent au système scolaire pour prendre en charge des apprentissages que la sphère privée n’arrive pas à assumer pleinement – montrent la difficulté de répondre à la question du choix de ce qu’il faut enseigner.
Deux sortes d’enseignements cohabitent actuellement au cours de la scolarité obligatoire : les disciplines traditionnelles et les « éducations à… ». La distinction n’est pas anecdotique : on enseigne les mathématiques et on éduque à la sexualité ou à l’environnement ! D’une part, il y a des disciplines scolaires qui tirent leur légitimité de leurs racines universitaires, de l’autre, des enseignements dont les contenus sont au confluent de plusieurs disciplines (par exemple, l’éducation à l’image) ; et même parfois de simples pratiques sociales ou de valeurs prétendument partagées (comme la sécurité routière).
En fait, les enseignements et donc les programmes scolaires n’ont jamais subi les remaniements nécessaires pour s’adapter à ces nouvelles demandes sociales, et aux « nouveaux publics » qui fréquentent aujourd’hui l’enseignement secondaire. Et notamment, ce sont les disciplines académiques, celles qui prédestinent aux études générales, qui ont continué de structurer l’enseignement délivré par le collège unique.
L’enseignement obligatoire se présente donc comme un ensemble disparate de contenus d’enseignement qui n’ont pas permis de définir un véritable corpus que tous les jeunes posséderaient à la sortie du collège. La nécessité de définir, pour l’enseignement obligatoire, un socle commun s’est donc progressivement imposée en France comme dans la plupart des pays occidentaux.