Quelles finalités pour l'école ?

L'école serait en crise, incapable de remplir toutes ses missions, d'égalité des chances, d'efficacité scolaire et d'épanouissement de l'individu. L'analyse qu'offre la philosophie politique - et plus particulièrement la thèse de Marcel Gauchet - en éclaire les contradictions.

« Pourquoi changer l'école ? », demande le sociologue (François Dubet, 1999, rééd. Textuel, 2001), « Quelle école voulons-nous ? », s'interrogent à leur tour les philosophes (Alain Kerlan, Michel Develay, Louis Legrand et Eric Favey, ESF, 2001), tandis que les enseignants témoignent sur le besoin de valeurs morales et civiques (Jacques Lagarrigue, L'Ecole. Le retour des valeurs ?, De Boeck et Belin, 2001). Tous posent en fait la question des finalités et des missions de l'école. Et nombreux sont ceux qui, comme le sociologue Jean-Pierre Terrail ou la revue Philosophie politique, font de l'école un enjeu démocratique 1. « L'école, comme l'affirme le philosophe Marcel Gauchet, fonctionne comme un laboratoire des questions posées à la démocratie par le développement même de la démocratie. Ses concepts fondateurs, la liberté et l'égalité, y sont mis à l'épreuve. [...] L'école est aujourd'hui l'institution où le problème principal de la démocratie, en tant que régime des droits de l'individu, à savoir le problème de l'articulation de cet individu avec le collectif, est testé avec le plus d'acuité. » L'éducation est donc une question politique. Or, comme le rappelle L. Legrand, « le premier moment d'une politique éducative est la détermination de ses objectifs. [...] Cette détermination ne peut se faire qu'à partir de choix plus fondamentaux encore qui sont les finalités affichées dans les choix politiques. [...] Il s'agit de conceptions morales et philosophiques, arrière-fond latent ou explicite de l'activité sociale, impliquant une conception de l'homme, de sa signification dans le monde et de sa destinée 2. » Toutes conceptions que la philosophie politique, appliquée à l'éducation, permet d'éclairer.

Récemment, M. Gauchet en proposait une analyse 3 par une décomposition en trois « strates » de la géologie du problème éducatif : une strate anthropologique, une strate épistémique et une strate politique qui, comme les couches de sédiments, s'accumulent. Cette analyse, qui tient compte de l'histoire du système éducatif, aide à pointer les contradictions, les tensions et les entrecroisements entre les différentes missions et finalités de l'éducation.

Apprendre à apprendre

La première strate, dite strate anthropologique, repose sur la formule d'Emmanuel Kant : « L'homme est l'unique créature qui doive être éduquée. » Et ce pour trois raisons, analyse M. Gauchet. Tout d'abord parce qu'il vit dans une culture langagière. Le petit enfant, pour entrer dans la vie, doit impérativement apprendre ce que les autres savent. Ce qui imprime à l'éducation un trait tout à fait particulier : celui qui apprend dépend de celui qui sait. La relation est donc par définition inégalitaire. L'humain doit être éduqué pour une deuxième raison : il doit apprendre à se gouverner lui-même et à régler ses rapports avec les autres selon une loi commune. Il doit donc librement accepter les règles fixées collectivement. Enfin, l'homme doit être éduqué car il vit en société, société qui tente de se reproduire, de se perpétuer. Or, l'une des caractéristiques des sociétés démocratiques est de forcer ses membres à être libres, ou du moins à acquérir les moyens de la liberté. Etre humain - avoir besoin d'être éduqué - contient donc déjà en soi de nombreuses tensions : le passage par la dépendance pour accéder à la liberté, la contrainte de la norme collective pour gagner la liberté individuelle, l'obligation d'apprendre pour devenir libre.