Question à... Zbignew Smoreda. La parole à distance

Quelle différence y a-t-il entre une conversation téléphonique et un échange écrit ? Des études montrent que ce n'est pas leur contenu qui diffère, mais le degré d'engagement des personnes.

Quels sont les usages reconnus de la conversation téléphonique privée ?

Les spécialistes distinguent deux types d'interactions : les appels utilitaires, plutôt courts entre proches, et les échanges interpersonnels, plus longs, qui sont liés à la distance ou à la rareté des contacts. Quand on n'a pas vu quelqu'un depuis longtemps, on va passer par une structure de conversation à plusieurs thèmes : d'abord les demandes d'informations, puis des sujets collatéraux qui vont faire durer l'échange.

Curieusement, c'est la communication à longue distance, celle qui ressemble le plus à la correspondance écrite, qui fait figure d'usage prototypique du téléphone : le téléphone, pense-t-on, sert à abolir l'espace et à entretenir des liens entre les personnes séparées. En réalité, les études montrent que la téléphonie à usage privé sert surtout dans le cercle des relations les plus proches. Les gens avec qui l'on parle en face et de vive voix sont aussi ceux que l'on appelle le plus souvent.

Ces appels téléphoniques ont à peu près le même contenu que les conversations de la vie quotidienne. D'abord, il y a tout ce qui relève de l'organisation des activités. Pour se retrouver, il faut aussi s'appeler. Cet usage régulateur a été décuplé avec le mobile : maintenant, les gens ne se donnent plus rendez-vous à une heure et en un lieu précis. Ils font de la navigation d'approche et s'appellent dix fois jusqu'à ce qu'ils se retrouvent.

Qu'est-ce qui distingue fondamentalement un échange écrit et un échange oral ?

On peut le comprendre d'autant mieux aujourd'hui que les limites de l'oral et de l'écrit sont assez facilement brouillées par la technique. Par exemple avec les messageries informatiques, vous pouvez obtenir des vitesses d'échange qui se rapprochent de celle d'une conversation. Du coup, les énoncés eux-mêmes se transforment et sont aussi allusifs et imprécis que peuvent l'être des phrases dites à l'oral. Si vous ralentissez le rythme des échanges, comme avec le courriel, alors vous vous retrouvez avec le style correspondance écrite, quand même plus formel. On pense donc que le facteur temps est essentiel : c'est lui qui permet ou non de maintenir l'idée d'un contexte stable, d'une coprésence partagée par les deux interlocuteurs. Dès que la continuité temporelle se brise, alors le contexte aussi, et il faut avoir recours à un style plus écrit, une suite d'engagements et de désengagements qui sont indiqués par des mots d'ouverture (« bonjour ») et de congé (« cordialement », « bisou »...).