Qui a inventé l'ordinateur ?

L’invention de l’ordinateur n’est pas seulement le fruit de quelques inventeurs et entrepreneurs de génie. Derrière eux, une myriade d’anonymes et d’institutions ont formé un écosystème d’innovation dont l’analyse permet d’entrer dans les arcanes de la révolution numérique.

La révolution numérique a changé nos vies. En une génération, les ordinateurs, le Web et les smartphones ont envahi notre quotidien, au point qu’il paraît difficile de concevoir une vie sans écran et sans réseau : une vie que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître… Tout a été bouleversé : le travail, la communication, les transports, le commerce, les loisirs, etc.

Qui sont les responsables de cette révolution ? Qui a inventé l’ordinateur, l’informatique, le Web et les milliers d’applications qui en dérivent ? On connaît quelques grandes figures de cette histoire, comme Alan Turing et sa célèbre machine imaginaire, John von Neumann et les premiers ordinateurs, Steve Jobs et le Macintosh, Bill Gates et Microsoft, etc.

Walter Isaacson, l’auteur des Innovateurs 1, un livre consacré à l’histoire de la révolution numérique, récuse pourtant cette vision héroïque, dans laquelle quelques génies seraient les pères fondateurs de la révolution numérique : « La plupart des innovations de l’ère numérique ont été des œuvres collectives. » W. Isaacson, pourtant lui-même auteur de biographies de référence sur quelques « génies » de la découverte (Einstein, Benjamin Franklin, Steve Jobs), nous met en garde contre une vision de l’histoire de la révolution numérique centrée sur une poignée de héros. Selon lui, tout fut un processus de création collective. À côté des « grands noms », il présente ainsi une foule de personnages secondaires : John Atanasoff, John Mauchly, John Presper Eckert, William Shockley, Jack Kilby ou Vannevar Bush, eux-mêmes ne formant que le sommet de bataillons invisibles d’ingénieurs, informaticiens et entrepreneurs. Des institutions publiques (l’armée, les universités), des entreprises privées (IBM, Bell, Microsoft), des communautés informelles d’utilisateurs furent également des acteurs anonymes de cette aventure. L’ensemble a formé un « écosystème de recherche » bouillonnant et créatif qui continue à transformer notre monde 2.

Les « génies » de l’innovation

L’histoire canonique des grandes inventions commence toujours par la mise en scène de quelques d’hommes d’exceptions. W. Isaacson commence son récit par l’histoire d’une femme, Ada Lovelace, qui peut être considérée comme la pionnière de la programmation informatique (encadré ci-dessous). A. Turing est assurément l’autre génie de l’informatique naissante. En 1936, à l’âge de 24 ans, il conçoit théoriquement une « machine universelle » qui résoudrait tout problème mathématique exprimable selon un algorithme 3. L’idée de la machine lui serait venue à l’esprit en courant : A. Turing était un des meilleurs spécialistes britanniques de course de fond. Durant la guerre, il met en application ses idées en participant à la conception de Colossus, une machine qui permit de décrypter les codes secrets utilisés par les Allemands. Après la guerre, A. Turing prolonge ses travaux dans le cadre de l’intelligence artificielle naissante. Le « test de Turing » est d’ailleurs longtemps resté une étape clé dans la réflexion sur la capacité des machines à copier l’intelligence humaine. A. Turing n’en serait sans doute pas resté là s’il n’avait mis fin à ses jours en 1954 en avalant une pomme empoisonnée. Il n’a laissé aucune explication de son geste, mais son biographe suppose que son suicide était en lien avec sa condamnation pour homosexualité et l’obligation de subir un humiliant traitement chimique qui lui avait été imposé par la justice britannique.

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Le mathématicien J. von Neumann fait aussi partie de ces talents hors normes qui ont apporté des contributions majeures dans les nombreux domaines auxquels il s’est intéressé : logique mathématique, physique quantique, invention de la bombe atomique, théorie des jeux (dont il est un des fondateurs avec l’économiste Oskar Morgestern). Dans l’histoire de l’ordinateur, son apport décisif est « l’architecture von Neumann », qui est le schéma général de conception des premiers ordinateurs et reste encore aujourd’hui la matrice de presque tous les ordinateurs existants.