Raccrocher les décrocheurs

Accidents de la vie, expérience scolaire difficile, environnement précaire… Les jeunes qui décrochent ont chacun des profils singuliers. Le parcours pour raccrocher prend souvent du temps.

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Appelons-le Sébastien 1. Quand on lui demande pourquoi à 16 ans il a interrompu ses études après une troisième segpa, il dit : « La raison, bah je sais pas. J’aimais pas l’école et je me sentais pas capable d’avoir un diplôme, je connais même pas les tables de multiplication, et puis j’avais pas énormément de soutien de la part de ma famille, donc voilà… » Fils d’ouvrier, sorti de l’école depuis un an quand il répond à l’enquêtrice, il envisage de travailler dans la vente. Tous les jeunes en décrochage du système scolaire ont des parcours singuliers et, même s’ils ont en commun d’avoir quitté l’école sans avoir obtenu un diplôme de fin d’études secondaires, ils ont eu des parcours parfois très différents. Mais beaucoup partagent les expériences de Sébastien, celles des difficultés scolaires, de la perte de sens des apprentissages et de l’altération de l’estime de soi.

C’est à ce niveau que se situe véritablement la question du « raccrochage ». Non pas que ces jeunes manquent nécessairement de projets. « J’aimerais monter ma boîte de location de voiture pour handicapés », nous dit Malika, 20 ans, qui a décroché d’une terminale administration gestion. Dans l’enquête MODS 2015 qui a interrogé en 2015 près de 3 000 jeunes en situation de décrochage scolaire, plus de 70 % des jeunes interrogés déclarent avoir un projet professionnel ou de formation. Mais, à la différence de ce que nous dit Malika, ces projets s’inscrivent souvent dans l’urgence née de situations très précaires : trouver un travail, accéder à une formation continue qui permette d’ouvrir des droits à indemnisation, etc. Aujourd’hui ils sont environ 80 000 à quitter précocement le système éducatif : moins nombreux certes qu’il y a dix ans, ils connaissent toutefois des difficultés d’insertion de plus en plus grandes sur le marché du travail.

« Marre de l’école »

On connaît bien les caractéristiques de ces jeunes. Un peu plus souvent des garçons que des filles, ils viennent fréquemment des milieux populaires : la probabilité de décrocher est quatre fois plus élevée pour un enfant d’ouvrier que pour un enfant de cadre. Ils sont plus fréquemment issus de familles ayant connu des ruptures importantes : chômage, divorces, décès d’un parent. Et leur décrochage s’inscrit dans une expérience scolaire toujours difficile, même si elle n’a pas forcément été marquée par des difficultés d’apprentissage ou de mauvais résultats. En tout cas il y a une forme de lassitude qui s’exprime facilement par un « marre de l’école 2 », mais qui se formule aussi en opposition à la forme scolaire et aux dispositions qu’elle implique : « Je préfère la pratique au théorique », nous dit Lucy, ou, pour Franck, « ça m’énervait de rester assis sur une chaise à rien faire ». Ajoutons que, au-delà de la multiplicité des parcours singuliers qui ont conduit au décrochage scolaire, plusieurs grandes catégories peuvent être distinguées : des parcours marqués par des difficultés précoces qui amènent à un décrochage des apprentissages, des parcours au contraire caractérisés par une scolarité dans les normes attendues, mais dont le jeune se désengage par désintérêt ou par découragement, des parcours interrompus par des accidents de la vie (maladie, grossesse) ou par des conditions d’existence très précaires. Il semble évident qu’à cette diversité de situations les mêmes réponses de remédiation ne peuvent pas être apportées.