Rares sont les adolescents criminels. Aucun profil type ne se dégage de ces cas d’homicides. Rarement prémédité, le meurtre traduit le heurt d’une histoire de vie avec une situation précise qui exacerbe les blessures ou les manques antérieurs : abandon, inceste, abus sexuel, maltraitance, manque d’amour, absence de toute loi dans la famille, tensions familiales, sentiment d’un manque de reconnaissance par les autres, etc. L’univers de sens de ces jeunes meurtriers est déchiré de toute part, constitué d’injustices, de manquements de la part des adultes, leur donnant le sentiment que tout est égal, qu’aucune loi ne se dégage vraiment, hormis celle d’une réaction propre à l’instant. Ou bien ce sont des « vengeances » qui aboutissent à la mort d’un autre adolescent, la parole étant impuissante à apaiser les tensions.
Les massacres scolaires font leur apparition à la fin des années 1980. La violence mise en jeu est pratiquement aveugle, même si parfois des cibles éventuelles sont épargnées. On se souvient à ce propos du massacre de Colombine, en 1999, dans le Colorado. Un exemple entre mille. Certains adolescents s’attaquent d’abord aux membres de leur famille comme pour effacer toute trace de leur origine, et ils poursuivent leur cheminement aléatoire en tuant ceux qui se trouvent sur leur passage au sein de l’établissement scolaire ou universitaire. Violence déconcertante, imprévisible, dévastatrice, irrésistible. Le jeune se tue ou il est abattu par la police. Les frustrations et les rancœurs liées au sentiment de ne pas être reconnu par les pairs exposent certains à ces actions radicales (encadré ci-dessous). Leur rage traduit un ressentiment global, elle explose devant ceux qui sont là, à portée de la main. Ils ne veulent pas mourir sans entraîner avec eux le maximum de leurs semblables pour leur faire payer leur indifférence. Ils souhaitent exister pleinement à travers leur acte, mais aussi dans ce qu’ils imaginent de la douleur de leurs victimes et de leurs familles.
Pétage de plombs
Certaines formes de délinquance ou de violence sont pour nombre de jeunes une façon de chercher une limite, de provoquer les adultes pour obtenir une réponse, une orientation. Certains usent aussi de la douleur physique envers eux-mêmes, avec les scarifications par exemple. Les aspects autodestructeurs en évidence dans ces conduites font écho à une recherche d’identité sollicitant à la fois l’ultime limite, c’est-à-dire la mort – la violence est toujours une forme d’ordalie : tomber sur plus fort que soi, être victime d’un règlement de compte ou être abattu par la police… – et les limites sociales, c’est-à-dire l’affrontement aux autres et à la loi, afin de prendre ses marques. Elles sont autant de tentatives d’échapper au sentiment du vide ou à l’indifférencié. Une surcharge affective impossible à symboliser, en impasse, fait « péter les plombs ». Mais le jeune parfois se fait aussi violence dans son impuissance à s’arrêter. Il devient alors prisonnier de son comportement à défaut de résoudre autrement ses difficultés. On dit d’un adolescent particulièrement agaçant qu’il « nous cherche ». En effet, il cherche parfois un adulte qui inscrive sa place dans un monde qui se dérobe à lui.