Recherche et éducation : « Je t'aime, moi non plus »

Dans le système français, la pratique enseignante et la recherche forment un couple non cohabitant, hésitant entre divorce et distante conciliation. Explications de ce paradoxe...

Interrogez des enseignants sur l'utilité des sciences humaines dans leur pratique quotidienne... Plusieurs d'entre eux vous répondront qu'il ne voient vraiment pas à quoi celles-ci pourraient leur servir dans leur métier. Tel professeur vous expliquera qu'il a été formé pour enseigner les mathématiques (ou le français, l'histoire, la philosophie...) ; qu'il a investi plusieurs années d'études pour acquérir cette formation ; qu'il a obtenu un concours le jugeant apte à délivrer ses connaissances. Certains ajouteront même qu'ils ne s'estiment pas destinés à autre chose que de tenir ce rôle d'expert d'une discipline précise, et que c'est à l'institution de régler les autres problèmes. D'autres - moins nombreux cependant - estimeront qu'une certaine connaissance de la sociologie de l'éducation ou de psychologie de l'enfant permet de mieux assurer leurs pratiques...

Ces attitudes traduisent en fait un débat qui, au fil du temps, a pris plusieurs figures: débat entre partisans du « tout académique » (la fonction de l'école est de transmettre des savoirs) contre ceux du « tout pédagogique » (l'école doit permettre la réalisation de l'individu), avec entre ces deux extrêmes de multiples variantes ; débat qui a glissé, avec l'essor des sciences de l'éducation dans les années 60, entre partisans d'une « pédagogie scientifique », et ceux qui affirment que la pédagogie est une « discipline d'action » antagonique d'une démarche scientifique ; débat entre différents courants du militantisme pédagogique...

Vincent Lang, enseignant-chercheur à l'université de Nantes, a effectué une revue des travaux francophones et anglophones, sur la professionnalité des enseignants. Il propose une typologie des conceptions du métier axée selon différents pôles : pôle « académique » donnant l'exclusivité aux savoirs disciplinaires ; pôle « artisanal » insistant sur la prégnance de la pratique et de l'expérience ; pôle « personnaliste » dans lequel l'efficacité vient de la personnalité de l'enseignant ; pôle « critique » donnant la priorité à la transmission de valeurs démocratiques 1... Parmi les modèles qu'il présente, un seul fait appel à des fondements scientifiques de l'acte éducatif, qui supposeraient de déterminer de façon rigoureuse les conditions d'un enseignement efficace (pôle « scientifique et technique »).

Faut-il, comme l'affirment bien des auteurs, abandonner la fiction d'une maîtrise rationnelle de la pratique enseignante, car dans un tel métier, « on a affaire au flou, à l'ambiguïté, à la déviance, à l'opacité, à la complexité, au conflit »2 ? Il semble, en tous cas, que l'enseignement est une activité professionnelle aux logiques multiples et qu'il faille prendre en compte, comme l'explique V. Lang, la présence d'un « rapport conflictuel entre technicité et indétermination ».

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Des savoirs sur l'éducation

Le psychologue Jean Piaget formulait l'espoir de recourir un jour, en matière d'éducation, « à une discipline impartiale et objective dont l'autorité imposerait les principes et les données de fait3 ». Il dénonçait avec vigueur l'absence d'« une science de l'éducation » suffisamment élaborée pour que l'action éducative s'appuyât sur elle comme la médecine sur la biologie.

Depuis les années 60, les savoirs sur l'éducation ont progressé de manière indiscutable. Les recherches se sont développées au sein du ministère de l'Education nationale (Institut national de recherche pédagogique, Direction de la programmation et du développement), dans des laboratoires du CNRS, mais aussi dans l'université avec la création, depuis 1967, des départements de sciences de l'éducation.

« Nul ne pourra contester l'intérêt et la scientificité de travaux dont s'honorent désormais les disciplines situées dans le champ des sciences de l'éducation et des didactiques », affirment Charles Hadji et Jacques Baillé, dans l'introduction d'un ouvrage écrit à plusieurs mains qui s'interroge sur les rapports possibles entre recherche et éducation 4.