Tant dans les sociétés occidentales que dans les sociétés orientales, l'utilisation des drogues a représenté un signe de distinction tout au long du xixe siècle et dans une bonne partie du xxe. Dès la fin des années 1830, de jeunes artistes dont l'insertion artistique passe par la création d'oeuvres en rupture ont recours à des substances euphorisantes. Charles Baudelaire, Théo-phile Gauthier, Alexandre Dumas fondent le club des « Haschichins » 1. En Chine et en Indochine, fumer de l'opium est aussi un signe d'appartenance à l'élite. Dans les années 60, aux Etats-Unis, c'est le phénomène hippie qui produira une massification de l'utilisation des drogues, en particulier de la marijuana et du LSD.
Emblème de la contre-culture
C'est un groupe d'intellectuels de la Beat Generation qui, voulant faire table rase des valeurs de la société industrielle américaine, érigèrent la drogue en moyen de libération. Un des premiers chantres du mouvement hippie, Timothy Leary, organise en 1961 un symposium sur le « contrôle de l'esprit humain » auquel participaient des scientifiques et des littéraires. Enseignant à Harvard, T. Leary sera le tenant de la « révolution psychédélique ». Il présente sa philosophie dans The Politics of Ecstasy (1968). Le « trip » (voyage au sens propre et figuré), au coeur de la problématique hippie, est censé reproduire certaines formes d'initiation des sociétés dites primitives.
La drogue devient le véhicule chimique de l'ailleurs. C'est un outil qui permet d'étendre le champ de la conscience et d'atteindre la dimension cachée de l'Etre. Le LSD ouvre, par un repli de l'individu sur soi, l'accès aux potentialités que recèle chaque individualité. Dès lors, débarrassé de ses entraves sociales, l'esprit peut partir à la quête de lui-même, à la recherche de sa vérité et de sa nature.
Mais si T. Leary est une figure de proue du mouvement hippie, il n'en incarne pas sa totalité, et c'est ainsi qu'Allen Ginsberg, un des anciens leaders de la Beat Generation, réunit autour de lui à San Francisco en janvier 1967, 40 000 jeunes recouverts de fleurs et de clochettes. Beaucoup de jeunes hippies se contentent d'utiliser des drogues dites « douces » comme la marijuana sans tomber dans le culte du LSD.
Le phénomène hippie, c'est aussi un style vestimentaire, une mode musicale (la pop music), un nouveau type de relations sociales, et tout un ensemble d'éléments qui caractérisent un mode de vie. Le retour à la terre, qui a profondément marqué ce mouvement, n'est pas séparable des sentiments de l'antiville, de l'antiproductivité qui ont gagné l'ensemble du corps social dans les années 60-70. Dès 1969, on assistera cependant à un reflux des communautés hippies, peut-être parce que « la plupart des communes vivent isolées les unes des autres, et leurs membres doivent finalement, dans bien des cas, accepter les allocations gouvernementales et les travaux à temps partiel pour parvenir à subsister » (Pozzo di Borgo, 1971).
La fin du mouvement hippie doit aussi se comprendre comme le résultat d'un processus historique. C'est la période où apparaissent les premiers décalages entre les valeurs d'une époque révolue et les aspirations socio-économiques de la génération du baby-boom. Avec la fin du phénomène hippie on va assister à un recul de la consommation de marijuana et à une quasi-disparition du LSD parmi les jeunes des classes moyennes et supérieures aux Etats-Unis.
Il faut donc attendre le reflux des mouvements maoïstes au début des années 70 pour voir déferler en France la vague contre-culturelle. Pour Gérard Mauger, la consommation de drogues est, initialement, indissociable du phénomène contre-culturel. Le véritable choc correspondrait aux années 1969-1971. Pour lui, « tout porte à croire que si ce ne fut pas le cas antérieurement c'est parce que le mouvement gauchiste, alors dominant dans le monde étudiant et sa périphérie socioculturelle, y faisait obstacle. Ce n'est qu'à la suite du déclin du mouvement gauchiste et de la mutation interne qu'impliquait ce déclin, que la contre-culture importée des Etats-Unis, en particulier par Actuel, a pu conquérir son audience » 2.