Rencontre avec Albert Bandura « J'y arriverai » : le sentiment d'efficacité personnelle

L'individu s'engage dans l'action parce qu'il est convaincu de pouvoir influencer son environnement : c'est ce qu'affirme Albert Bandura avec la notion d'efficacité personnelle.

Albert Bandura est très attaché à la démarche scientifique en psychologie. Il s'enorgueillit d'avoir dans sa « généalogie » scientifique le fondateur de la psychologie scientifique américaine : William James. Cette brillante filiation n'est d'ailleurs pas tout à fait le fruit du hasard, puisque pour choisir l'université où suivre son doctorat, le jeune étudiant posa la question suivante à l'un de ses professeurs : dans quelle université s'écrivent les « tables de la loi » en psychologie ? Puisque la réponse fut « à l'université d'Iowa », c'est là qu'il obtint sa thèse en 1952, sous la direction d'Art Benton. Dans ces années-là, le behaviorisme est triomphant et influence toutes les théories de l'apprentissage, avec comme idée maîtresse que tout comportement a besoin d'une récompense pour être renforcé. Dans une expérience célèbre, A. Bandura et ses collègues montrent pourtant qu'il suffit que des enfants observent le comportement agressif d'un adulte envers une poupée, appelée Bobo, pour le reproduire ensuite. Il lance alors un programme de recherche à l'origine de la théorie de l'apprentissage social, dit aussi « apprentissage vicariant », et surtout d'une nouvelle approche en psychologie : l'approche sociale cognitive. Dans les années 80, il développera un deuxième concept important pour la psychologie de la motivation, celui de sentiment d'efficacité personnelle. C'est principalement sur ce thème que nous l'avons interrogé.

Sciences Humaines : Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les notions importantes de la théorie sociale cognitive et sa contribution à la psychologie ?

Albert Bandura : La théorie sociale cognitive considère l'humain comme l'agent - on pourrait dire l'acteur - de son développement, de son adaptation et de son changement. Etre acteur de sa vie consiste à influencer intentionnellement son propre fonctionnement et son environnement. Chaque individu n'est donc pas seulement le résultat des circonstances de sa vie. Il en est aussi l'origine. A partir de là, la théorie sociale cognitive propose un ensemble de compétences qui serait l'essence de l'humain.

La première de ces compétences est une extraordinaire capacité symbolique, qui offre à l'humain un outil très puissant pour comprendre son environnement et gérer pratiquement tous les aspects de sa vie. En symbolisant leurs expériences de vie, les individus donnent à leur vie une structure, un sens et une continuité.

La deuxième de ces compétences est une grande capacité à vivre « par procuration », ce qui permet à l'individu, en regardant les autres, d'accroître très fortement ses connaissances et ses compétences par le modelage social. Les extraordinaires progrès des technologies de l'information et de la communication ont encore accru la portée et le pouvoir de ce modelage social. Elles contribuent à modeler les attitudes, les valeurs et les comportements à travers le monde, et deviennent un vecteur important du changement politique et social.

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Ensuite, la compétence de l'humain à anticiper augmente son « agentivité ». L'individu imagine son futur, se donne des objectifs et anticipe les conséquences des actions qu'il envisage de mener, pour orienter et motiver ses efforts.

Une autre compétence proprement humaine est ce que l'on pourrait appeler « l'autoréactivité ». Dire que l'humain est acteur de sa vie signifie qu'il n'est pas seulement un penseur et un anticipateur. Il va contrôler et réguler des actions, les siennes, en fonction de standards personnels enracinés dans un système de valeurs.

Par ailleurs, l'individu ne régule pas seulement ses actions. Sa capacité de réflexivité, autre compétence proprement humaine et centrale dans la théorie sociale cognitive, le rend capable d'évaluer son propre fonctionnement cognitif, affectif et comportemental. Il réfléchit sur son efficacité, la validité de ses pensées et de ses actions, la signification de ses quêtes, et opère des corrections et des ajustements si nécessaire.

Enfin, l'humain ne vit pas isolé. Il doit collaborer avec les autres pour gérer et améliorer ses conditions de vie. Ils mettent alors en commun leurs connaissances, habiletés, et ressources, et agissent de concert pour façonner leur futur. C'est pourquoi la théorie sociale cognitive étend sa conception de l'agentivité humaine à celle d'agentivité collective. L'interdépendance croissante de la vie sociale et économique nécessite l'exercice d'une agentivité collective locale, nationale et transnationale pour atteindre les changements sociaux désirés.