Un pays où se sont déroulées des violences de masse est tout sauf un no man's land. Béatrice Pouligny montre que les populations touchées esquissent elles-mêmes des issues. C'est en partant de leurs inventions et de leurs initiatives que l'on peut amorcer la reconstruction de la paix.
Comment percevez-vous les interventions des organisations internationales dans les contextes de guerre ?
La majorité des interventions ne tiennent pas compte des transformations entraînées par les violences. Lorsqu'il y a eu un cessez-le-feu et un accord de paix, elles cherchent à « stabiliser » la situation, ce qui revient le plus souvent à instaurer un statu quo, souvent fragile. Ou alors maintenir les violences dans des limites « acceptables », mais sans aller au fond des problèmes qui ont entraîné ces violences, sans penser les changements indispensables à une réelle reconstruction. Or les sociétés concernées sont engagées dans la redéfinition d'un contrat social, des valeurs, des relations entre les gens. Au lieu d'accompagner le changement, on fait l'inverse.
Lorsqu'une société a échoué en sombrant dans la violence, on considère qu'elle n'est pas à même de se reconstruire par elle-même. Il convient, pense-t-on, d'importer de nouvelles structures, une société civile, des ONG. C'est risquer d'oublier que le changement ne peut pas venir que de l'extérieur.
Un pays qui a subi des crimes de masse n'est pas qu'un champ de décombres...
Quiconque s'est rendu en Ituri, à l'est du Congo, à l'été 2003, garde à l'esprit la vision d'un paysage « postapocalyptique ». La nature, les bâtiments sont éventrés de toutes parts, hantés par des groupes d'habitants qui essaient de survivre. Les camps de réfugiés se gonflent chaque jour de ceux qui fuient les massacres. C'est le chaos, l'anarchie. Il suffit pourtant de s'éloigner des périmètres contrôlés par les forces de paix extérieures, de pénétrer plus avant dans les camps et les quartiers pour que l'on comprenne que tout cela reste très organisé tant pour contrôler et tuer que pour assurer la survie. Les enfants, les blessés sont pris en charge. Il y a là une société, certes en très mauvais état, mais une société tout de même.