◊ 1960 Spacewar, le jeu hacker
Spacewar est indubitablement le premier jeu vidéo. Premier univers simulé sur ordinateur qui repose sur une manipulation graphique en temps réel, le jeu est une prouesse technique. Contrairement à des applications antérieures (Tennis for Two, 1958, par exemple) qui sont restées cantonnées au rôle de programmes de démonstration, Spacewar a été intensément joué. Le jeu a vu le jour et immédiatement été adopté au sein de la communauté des hackers du MIT (Massachusetts Institute of Technology). Les hackers, ce sont ces étudiants passionnés de programmation qui partagent une culture de l’exploit technique. Ils gravitent autour du jeune laboratoire d’intelligence artificielle, à un moment où la recherche en informatique est encore balbutiante. À la rentrée 1961 arrive au MIT un nouvel ordinateur, le PDP-1, qui permet pour la première fois de s’asseoir en face de la machine, d’entrer en relation avec elle à partir d’une sorte de clavier et de recevoir une réponse en temps réel. Grâce à cette innovation considérable, et aux facilités d’accès à l’ordinateur que l’on accorde aux étudiants, la programmation prospère. C’est dans ce contexte qu’apparaît Spacewar.
Le jeu est imprégné de la culture des hackers. Un hack, c’est la capacité à exploiter une loi physique ou logique mieux que les autres, en trouvant une solution à la fois plus élégante et plus simple. Or c’est précisément en cela que consiste Spacewar : il s’agit d’utiliser au mieux l’attraction de l’étoile centrale (une loi newtonienne modifiée a été codée dans le jeu) pour atomiser le vaisseau de l’adversaire. Le vainqueur est le meilleur hacker. On peut faire référence ici à l’ethnologue André Leroi-Gourhan qui concevait l’art comme une stylisation des gestes techniques du quotidien. Spacewar intensifie la relation directe à la machine en vigueur dans la communauté des hackers. En scrutant l’objet, on peut voir s’y refléter toutes les caractéristiques de leur milieu : l’ambiance nocturne du jeu renvoie, certes aux contraintes techniques de l’époque, mais aussi aux horaires décalés des hackers qui n’avaient accès à la machine que de nuit, de même que le thème de la guerre spatiale n’est évidemment pas sans lien avec le financement de la recherche informatique au MIT, qui émane du ministère de la Défense.