Rencontre avec Michel Lussault : Un nouveau monde à penser

Urbaine, mobile, vulnérable : la société globale qui a émergé depuis cinquante ans est d’une radicale nouveauté. Le géographe 
Michel Lussault propose de nouveaux outils pour l’analyser…
et la gouverner.

De nombreux géographes se sont déjà penchés sur la mondialisation. Quelle est la particularité de votre regard ?

Il existe en effet de très bons livres sur la mondialisation. Néanmoins, il y a souvent dans ces ouvrages une vision continuiste de la mondialité contemporaine, comme si elle n’était rien d’autre que le résultat nécessaire de processus de longue durée – que l’on fait parfois remonter à la Haute Antiquité !

Cette perspective est certes intéressante, mais j’ai voulu en prendre le contre-pied et tenter de mettre en évidence la radicale nouveauté du Monde comme espace social à l’échelle globale – c’est ce qui justifie la majuscule dont je l’ai doté. Je le distingue par là de deux autres entités : la planète, c’est-à-dire le système biophysique qui existe indépendamment de l’homme, et la Terre, c’est-à-dire la planète en tant qu’elle est humanisée, convertie en habitat humain – ce qu’Augustin Berque appelait l’écoumène (1). Le Monde, c’est l’état historique de cet écoumène qui commence en 1950, continue aujourd’hui et durera tant que les conditions que je décris dans mon livre seront réunies.

 

La plus importante de ces conditions, dites-vous, ce n’est pas comme on le croit souvent la globalisation économique, mais l’urbanisation. Pourquoi joue-t-elle selon vous un rôle aussi crucial ?

Je pense de fait que l’urbanisation est la principale « force instituante et imaginante » du Monde. Instituante parce qu’elle arrange les réalités matérielles, humaines et non humaines, construit les environnements spatiaux des sociétés. Imaginante, parce qu’elle installe les idéologies, les savoirs, les imaginaires et les images constitutifs de la nouvelle mondialité.

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Il ne s’agit pas que d’un phénomène démographique, que l’on peut appréhender par la statistique. Mais d’un remplacement des modes d’organisation des sociétés autrefois dominants (la ville industrielle et la campagne) par un nouveau : celui de l’urbain généralisé, que j’essaie de caractériser dans ce livre. J’insiste en particulier sur des caractéristiques matérielles et sociales nouvelles qui s’imposent partout, comme par exemple le développement de la périphérie urbaine, les logiques de développement métropolitain, la croissance impressionnante de l’attractivité urbaine, accompagnée de celle des quartiers informels, les « slums », où les individus s’affranchissent intentionnellement des règles (en particulier celles de propriété et de construction) : bidonvilles bien sûr, mais aussi squats, extensions sauvages du bâti, occupation des toits, des bords de route ou de voie ferrée…