Difficile d’imaginer Canadien plus british. Calme, méticuleux, Timothy Brook est un éminent historien, spécialiste de la Chine. La traduction en français de Sous l’œil des dragons offre l’occasion d’un entretien autour d’un pays lointain, dans un passé reculé… Une Chine qui, sous le regard inquisiteur de l’auteur, nous en apprend beaucoup sur notre époque mondialisée.
Sous l’œil des dragons est un livre qui se présente, entre autres, comme une somme sur la façon dont les changements écologiques ont affecté l’histoire de la Chine. Pourquoi choisir un tel sujet ?
J’ai développé cette approche car je m’intéressais à la notion de crise, et que l’une des pires convulsions de l’histoire mondiale a pris place en Chine dans les années 1640 : des pénuries dramatiques, d’argent, de nourriture, de réactivité politique, ont déchiré le pays et entraîné la chute de la dynastie Ming (1368-1644). Et si je parle beaucoup du climat dans ce livre, c’est parce que le principal agent de cette crise était une vague de froid intense, accompagnée d’épidémies, de sécheresses et de famines d’ampleur inégalée.
À bien y réfléchir, cela n’était pas nouveau. Dans les années 1270, les Mongols avaient mis fin à la dynastie des Song du Sud alors qu’ils fuyaient les steppes en proie à la sécheresse et aux rigueurs de l’hiver – nous étions alors au commencement de ce que nous appelons le petit âge glaciaire, une période de six siècles qui vit les températures descendre dans tout l’hémisphère Nord, et que l’on a surtout étudiée jusqu’ici à travers les sources européennes. Ajoutons que si la dynastie que fondèrent les Mongols, les Yuan (1271-1368), ne dura qu’un siècle avant de s’effondrer, c’est en partie parce qu’elle vécut une période très difficile en termes écologiques.
Les Ming eurent plus de chance, bénéficiant à leurs débuts d’un long intervalle de météorologie plus clémente. Leur dynastie dura trois siècles, ponctués par quelques chocs assez terribles, qu’ils purent surmonter en adaptant leurs institutions. Jusqu’à l’apocalypse finale des années 1640, à laquelle je pense qu’aucun régime n’aurait pu survivre.
En aucun cas je ne voulais écrire qu’une histoire du climat, ou de l’environnement. Mais force m’est de constater que ces éléments ont formé le cadre physique de l’histoire de la Chine, du XIIIe au XVIIe siècle.
Certes, votre ouvrage aborde beaucoup d’autres points… Les croyances, par exemple. Il commence par nous parler de dragons ! Que nous disent ces créatures ?
Les chroniques chinoises, ponctuellement, mentionnent des dragons, là où nous ne voyons aujourd’hui que crues de fleuves, tempêtes de neige ou invasions de criquets. Car c’est ainsi que les Chinois percevaient les crises environnementales, comme une rupture de l’ordre des choses. Il est intéressant de noter que le dragon était le symbole de l’empereur. En voir un manifestait que l’ordre cosmique, dont l’empereur était garant, vacillait. Et ces apparitions fantastiques sont une part des matériaux historiques que nous devons prendre en considération.