Laurence Brunet est chercheuse associée à l’institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne (Paris-I). Ses travaux portent principalement sur le concept de filiation, dans le droit et à travers l’histoire. Elle a coordonné, en 2013, une étude juridique pour le Parlement européen sur la gestation pour autrui (GPA) dans les pays de l’Union.
Le droit de la filiation se réfère-t-il nécessairement à un ordre biologique ou naturel ?
Notre corpus juridique moderne est largement fondé sur le code civil établi par Napoléon en 1804. Or la filiation n’y est jamais définie à l’aune de considérations biologiques. Elle découle, d’une part, des droits et devoirs afférents au mariage, celui-ci pouvant être considéré comme une forme de reconnaissance de paternité anticipée – un homme admet par avance que les enfants de sa femme seront les siens… La filiation sert, d’autre part, de référence à une procédure d’adoption, permettant d’attribuer un statut aux individus dits « bâtards » ou nés hors mariage. On prend beaucoup de libertés avec la vraisemblance biologique, même si les couples concernés sont toujours hétérosexuels dans le contexte normatif et moral de l’époque. Si une femme a un enfant alors que l’impuissance de son mari est de notoriété publique, par exemple, ce dernier ne peut pas le renier juridiquement ; ce n’est pas considéré comme une cause légitime de désaveu. Autrement dit, le mariage passe pour plus important que la vraisemblance biologique. C’est un héritage des droits médiéval et romain : la filiation s’y inscrit avant tout dans un projet politique, elle est la pépinière, le « pater » à partir de laquelle la puissance publique doit pouvoir croître et se construire.