Revivre après une épreuve

Les grandes épreuves ébranlent notre identité et menacent notre survie. Qu’il s’agisse de maladie, de perte d’emploi, de rupture ou de crise économique, deux questions les traversent : faut-il donner du sens à ce qui nous arrive ? Et comment s’en sortir ?

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La pandémie de covid-19, suivie d’un confinement planétaire, a constitué une épreuve. Elle a frappé les corps, inquiété les esprits, révélé nos fragilités personnelles et collectives. En faisant surgir le spectre de la maladie et de la mort, elle a rappelé à chacun sa vulnérabilité fondamentale. Il a suffi de quelques jours pour que projets et routines sociales soient mis entre parenthèses. L’illusion d’immortalité, qui tient lieu de socle à nos conduites ordinaires, s’est fissurée.

Qu’est-ce qu’une épreuve de vie ?

Par son ampleur, cet événement a renouvelé la réflexion sur la notion d’épreuve. Ce terme polysémique, qui désigne aussi bien l’examen passé par l’étudiant, l’essai d’imprimerie, la probation du condamné ou le drame existentiel, plonge ses racines dans l’Antiquité. On le retrouve chez Sénèque, où il renvoie à la « mise à l’épreuve » de soi face à l’adversité de la vie. Dans chacune des religions monothéistes, il apparaît comme une probation envoyée par Dieu. En envoyant une série d’épreuves à Job, Dieu teste ainsi sa persévérance et sa foi. Dans la philosophie existentialiste et la psychologie de la santé, débarrassée de sa part transcendante, cette notion prend un sens plus passif. Elle est d’abord une difficulté « éprouvée » dans sa chair, une douleur ou une peine. L’épreuve a donc ce double sens, passif et actif, évoqué par Paul Ricœur 1 : à la fois probation et peine, elle vient éprouver nos ressources et notre résistance, mais elle est aussi ce qui nous affecte, nous menace et imprime sa marque sur notre parcours de vie. À ces deux connotations s’en ajoute enfin une troisième. À l’instar de l’épreuve d’imprimerie, l’épreuve révèle les qualités tout comme les fautes à corriger… En ce sens, elle met en évidence une perfectibilité. « Elle est ce par quoi une réforme est possible, ce qui peut être le principe d’une amélioration », souligne la philosophe Claire Marin dans L’Épreuve de soi (2003).

À quoi reconnaît-on une épreuve ? Le psychologue Gustave-Nicolas Fisher distingue dans Le Ressort invisible six catégories d’expériences extrêmes (encadré ci-dessous). Toutes ont pour point commun d’« ébranler la vie » : la maladie potentiellement mortelle, le viol, l’expérience de la souffrance, de la blessure, de la torture, la dépendance liée à l’âge en font partie. Le simple fait de vivre, de continuer à exister, qui va de soi quand tout va bien, se voit brutalement questionné et menacé. Moins directement mais avec une cruauté parfois redoutable, la séparation amoureuse et le deuil peuvent également engendrer une spirale mortifère. « On meurt encore d’amour », rappelle C. Marin. De même, les sentiments d’isolement, de désarroi et d’abandon peuvent briser autant qu’un virus. Les humains sont des êtres d’attachement, qui se construisent dans la relation, l’amour et l’échange. « Autrui, pièce maîtresse de mon univers…, découvre Robinson Crusoé dans la solitude de son île. Je mesure chaque jour ce que je lui devais en enregistrant de nouvelles fissures dans mon édifice personnel. » À l’échelle collective, ce sont des entreprises, des peuples ou des civilisations entières qui entrevoient un risque mortel sous l’effet d’une crise, d’une guerre ou d’une épidémie.