S'apparenter dans une famille recomposée

A-t-on besoin des liens biologiques pour se sentir un vrai papa, une vraie maman, de vrais frères et soeurs ? L'exemple de plus en plus répandu des familles recomposées tend à prouver le contraire... Les liens affectifs peuvent naître des relations quotidiennes et constituent alors un véritable ciment familial que, pourtant, le droit ne reconnaît pas encore...

Grandir au sein d'une famille recomposée est devenu une expérience de plus en plus répandue. Selon les chiffres issus du dernier recensement 1, un million d'enfants sont aujourd'hui élevés par un couple dont un seul des deux membres est le parent biologique et légal. Les « fratries recomposées », pouvant comprendre des demi-frères et des demi-soeurs lorsque le parent biologique et le beau-parent donnent ensemble naissance à de nouveaux enfants, témoignent de ces entrelacs de relations qui traduisent la pluralité des appartenances familiales. Ces familles recomposées incarnent l'une des expressions les plus manifestes des évolutions des familles contemporaines. Elles représentent un champ déjà largement exploré par la sociologie 2.

Pour l'ethnologue curieuse de la manière dont on vit et pense aujourd'hui la parenté, ces familles représentent par ailleurs de formidables lieux d'observation et d'analyse, où les définitions les plus ancrées, les repères les mieux assurés quant à ce qui fonde aujourd'hui les relations entre parents paraissent fragilisés. Comment, dans ce contexte, se construisent les relations familiales recomposées ? Comment s'édifient les liens entre enfants et beaux-parents, ou entre enfants de lits différents réunis dans le même foyer ? Alors que la non-reconnaissance juridique des relations nées des recompositions familiales est un constat généralisé dans l'ensemble des pays occidentaux, comment aussi se recréent des interdits symboliques tels que l'inceste ? Par quels contournements peut s'effectuer la transmission des biens lorsque celle-ci est désirée ?

Lorsque ni le sang ni le droit ne viennent préalablement assigner à chacun un statut, un rôle, une façon de se conduire avec ses proches, être père ou mère, frère ou soeur, et plus généralement « apparenté » perd son caractère d'évidence. Le recueil de témoignages auprès des membres (enfants et parents) d'une trentaine de familles recomposées a permis d'avancer quelques réponses à ces questionnements 3.

Le quotidien, ciment de la vie familiale

Au fondement des liens entre enfants et beaux-parents émerge en tout premier l'importance des gestes, des actes, des sentiments nés de l'expérience partagée d'une vie « familiale ». Celle-ci s'appuie d'abord sur la corésidence. Au fil de ces moments quotidiens que sont la préparation et le partage des repas familiaux, le lever ou le coucher des enfants, comme à travers certaines attitudes « éducatives » ou autoritaires qu'il pourra adopter dans la vie commune, le beau-parent peut jouer auprès de l'enfant de son conjoint un rôle quasi parental. Vivre ensemble induit aussi, très concrètement, à travers l'organisation économique et budgétaire du foyer recomposé, une participation financière au moins indirecte du beau-père ou de la belle-mère à l'éducation de ses beaux-enfants.