La grande majorité des espèces de primates est considérée comme « sociale » dans la mesure où les individus forment des groupes au sein desquels ils établissent des relations, communiquent et interagissent tout au long de leur vie (voir mot clé socialité p. 31).
Certaines espèces comme les microcèbes sont seulement grégaires : les individus coexistent sans former de groupes permanents. Chez l'orang-outang, les mâles adultes sont intolérants les uns avec les autres et mènent une existence solitaire ; les femelles et leurs jeunes constituent des groupes « monoparentaux ». Les femelles ne se regroupent pas entre elles. A part ces quelques cas, toutes les autres espèces vivent en groupes sociaux. On peut alors décrire une structure sociale 1 de ces groupes comme l'a fait la primatologue canadienne Linda Fedigan 2. Elle propose de distinguer trois groupes : les « unimâle/unifemelle », qui désignent le couple monogame; les groupes « unimâle/multifemelles », forme de harem où un mâle s'approprie plusieurs femelles, et enfin le groupe des « multimâles/multifemelles », état extrême de la polygamie. Certaines espèces, comme les babouins hamadryas et les babouins geladas, tous deux éthiopiens, présentent une structure sociale à plusieurs niveaux : l'unité de base est le groupe « uni-mâle/multifemelles » (un mâle et trois femelles le plus fréquemment). A cette unité il faut ajouter des groupes de mâles, donc unisexués, d'une dizaine d'individus. Mais ces deux structures coexistent au sein de bandes d'une centaine d'individus, constituées, le plus souvent, d'une dizaine d'unités de base et d'un, voire deux groupes de célibataires. Les chimpanzés communs, Pan troglodytes, ou les bonobos, Pan paniscus, présentent une structure sociale originale qualifiée de « fission-fusion ». Ils composent des communautés, formées d'individus qui se voient régulièrement au cours d'une longue période de temps au sein de groupements temporaires appelés « parties » dont la taille moyenne est d'une dizaine d'individus. La composition de ces parties varient souvent, d'où le qualificatif de fission-fusion, et leur durée peut ne pas excéder plus d'un quart d'heure. La communauté ainsi formée peut renfermer parfois près de 80 individus. La différence entre les deux espèces de chimpanzés réside dans les affinités entre individus. Chez les chimpanzés communs, les liens les plus forts s'observent entre mâles. A l'opposé, chez les bonobos, la cohésion des parties est principalement due aux interactions entre les femelles.
Les différents types de structure sociale (monogame, harem, multimâles/multifemelles) existent dans toutes les divisions de l'ordre des primates 3. La monogamie existe chez les singes sud-américains, notamment les marmosets et les tamarins, à quelques occasions chez les cercopithécidés mais reste la règle chez toutes les espèces gibbons et de siamangs. Les groupes uni-mâle/multifemelles s'observent seulement chez certains singes hurleurs d'Amérique du Sud, mais est largement répandue chez les cercopithèques africains et est la norme chez les langurs de l'Inde et chez le gorille, un anthropoïde.
L'interaction entre « disposition sociale » et « contraintes écologiques » explique pourquoi une même espèce soumise à des contraintes écologiques différentes peut présenter différents types de structures sociales. Elle peut aussi expliquer pourquoi, dans un genre comme le cercopithèque par exemple, la plupart des espèces présente un type de structure, uni-mâle/multifemelles, alors que certaines espèces ont une autre structure, multimâles/multifemelles, chez les cercopithèques vervets par exemple. Ces derniers sont des habitants des savanes alors que les autres espèces de cercopithèques sont forestières. Afin de bien insister sur l'extrême variabilité et diversité et sur le danger de généralisations hâtives, je rappellerai seulement que les patas, cercopithécidés proches des cercopithèques et vivant en savane constituent des harems, et que le talapoin, le plus petit singe africain d'un genre proche des cercopithèques, qui vit en forêt, constitue des grands groupes multimâles/multi-femelles.
C'est dans ces contextes sociaux variés que se réalisent les accouplements, que les jeunes vont se développer et que vont se perpétuer des structures « modales » (c'est-à-dire les plus souvent observées), de génération en génération.
Au début des années 30, Solly Zuckerman avait remarqué, en observant un groupe de babouins hamadryas au zoo de Londres, qu'ils passaient le plus clair de leur temps à se battre et à copuler. Le chercheur émit alors l'hypothèse que l'attraction sexuelle, maintenue tout au long de l'année, représentait la force de cohésion sociale essentielle des groupes de primates. Pour lui, la socialité est donc réductible à la sexualité.