Sabrina Krief : « Les chimpanzés sont les sentinelles de l'environnement »

Avec Jane Goodall, elle partage la passion des chimpanzés et le goût de la vie sauvage. Mais ses recherches sont ancrées dans le 21e siècle : Sabrina Krief a découvert que les chimpanzés savent se soigner et sont victimes de la pollution.

© Jean-Michel Krief

© Jean-Michel Krief

Si on vous qualifie d’aventurière, le terme vous convient-il ?

Oui, il me convient ! Depuis vingt-cinq ans je vais en Ouganda, dans le même parc national, mais malgré tout, chaque journée est une aventure différente : avec les chimpanzés, il n’y a jamais de routine. Le moteur de mon travail de chercheuse, c’est cet imprévu. Au tout début, ça a vraiment été la grande aventure. Quand je suis arrivée pour la première fois au Congo-Brazza en 1996, à 23 ans, j’étais à la fin de mes études vétérinaires. Je devais suivre un groupe de six chimpanzés orphelins qui retrouvaient la vie sauvage dans la forêt. La découverte était totale. Nous avons été déposés en bateau, mon mari Jean-Michel Krief et moi, dans un petit campement. Mais très vite, la guerre civile a éclaté et nous sommes restés là cinq mois, en immersion totale. Pour le coup, ce sont les jeunes chimpanzés qui nous ont fait découvrir la forêt tropicale.

Se sont-ils révélés plus doués que vous pour survivre dans ce milieu ?

Honnêtement, oui ! Pour les suivre, nous avons dû ouvrir des chemins, apprendre ce qu’était une forêt et comment y vivre. C’était un voyage initiatique, surtout sans ravitaillement. De temps en temps, un pêcheur passait et nous lui achetions des crevettes ou du poisson. Sinon, il a fallu apprendre quels fruits pouvaient se manger, en observant les chimpanzés. Ils étaient très jeunes et n’avaient pas été éduqués par leurs mères, si bien qu’ils mangeaient de toutes petites quantités, sans doute pour tester la comestibilité. Leur apprentissage individuel a dû être efficace parce qu’ils se sont orientés vers le régime alimentaire des chimpanzés sauvages. C’est là qu’est né mon sujet de recherche. En voyant certaines plantes que mangeaient les chimpanzés, les Congolais de notre groupe nous ont dit : « C’est curieux, ce sont des plantes que nous utilisons au village en médecine traditionnelle pour soigner les diarrhées ou les problèmes respiratoires. » En tant que vétérinaire, ça m’a beaucoup intéressée, et j’ai décidé de faire ma thèse sur cette question : « Est-ce que les chimpanzés savent se soigner ? » Mais pour cela, il fallait que j’observe de « vrais » chimpanzés qui n’avaient pas été imprégnés par l’humain. C’est ce que je fais aujourd’hui en Ouganda, dans le parc de Kibale, sur le site de Sébitoli, avec des chimpanzés sauvages, donc très craintifs, qu’il a fallu habituer à notre présence. Nous travaillons là depuis 2008, avec une équipe de vingt-cinq personnes, des Ougandais et des Français notamment.