Les médias sont omniprésents dans l'environnement quotidien des jeunes de moins de 20 ans. Les plus âgés sont nés dans les années 80 lors des grands bouleversements de l'audiovisuel : création des radios libres, naissance de chaînes de télévision privées, développement de la télévision par satellite. Ils ont grandi dans les années 90 avec la montée en puissance du marché des jeux vidéo sur consoles, puis celle de l'informatique domestique grand public. Ils ont vécu ces dernières années les transformations de la téléphonie. Il se dessine ainsi une génération qui représente un tournant dans la relation aux médias, un tournant que l'on ne doit pas réduire aux chiffres sur la hausse globale des pratiques et des équipements, car il est aussi d'ordre symbolique. Les écrans, alors qu'ils se sont extraordinairement complexifiés dans les potentialités qu'ils offrent, sont pour eux des objets fondamentalement routiniers, simples et ludiques. Ils en ont une perception très différente de celle que peut en avoir la génération qui les précède.
Les enquêtes par ailleurs s'accordent à souligner le rôle extrêmement important que joue aujourd'hui la télévision dans la socialisation juvénile. Toutes ces transformations ont-elles modifié la relation que les jeunes entretiennent avec leur environnement familial, amical ou scolaire ? Je tenterai de répondre à cette question à partir d'éléments puisés dans deux recherches récentes 1.
L'enquête européenne sur les jeunes et l'écran montre que la télévision reste le média dominant pour les jeunes et ce, même dans les pays où le taux d'équipement domestique en nouvelles technologies est très élevé. Ce résultat n'a peut-être rien de spectaculaire, mais il mérite qu'on s'y arrête car il ne se résume pas à de simples chiffres de consommation indiquant que, partout, le petit écran suscite un temps de pratique très supérieur à celui de tous les autres écrans.
La télévision, élément du lien familial
Il repose aussi sur deux autres constats. Le premier est que la télévision reste un média consommé très collectivement - en dépit d'un multiéquipement quasi généralisé dans les familles avec enfants. On constate ainsi qu'alors que les enfants issus de milieux défavorisés sont nettement plus nombreux que les autres à posséder un poste personnel dans leur chambre, ils sont plus des deux tiers à dire regarder la télévision tous ensemble en famille. De même, près d'une fille sur deux, dans ces mêmes milieux sociaux, déclare regarder son émission de télévision préférée avec sa mère. Ces liens entre parents et enfants sont en revanche extrêmement rares pour d'autres médias et surtout les médias numériques (ordinateurs, consoles de jeux vidéo...), qui sont massivement pratiqués au sein de la fratrie ou avec des amis. Le second constat est encore plus intéressant : la télévision apparaît être un formidable support à des échanges interpersonnels. 8 enfants sur 10 disent parler de télévision avec leurs amis à l'école, et le petit écran vient très largement en tête des médias dont on discute en famille avec les parents ou les frères et soeurs. Une partie de ces échanges porte bien sûr sur des questions de contrôle : interdiction de certaines émissions, restriction du temps passé à regarder la télévision, conflits sur l'usage des différents postes dans le foyer.
On le sait, la vie de famille est ponctuée de tensions autour des médias. Or, sur ce point, la partie qualitative de l'enquête montre que ces tensions sont sous-tendues par des enjeux qui dépassent les médias eux-mêmes. Du côté des parents, le contrôle est une forme d'exercice de l'autorité parentale et une manière de se montrer comme de « bons parents ». Ils vont donc insister sur le fait qu'ils surveillent de près les pratiques médiatiques de leurs enfants. Du côté des enfants, les règles familiales informent sur les coulisses du monde adulte : ils apprennent très vite à utiliser les divergences entre leurs parents, en demandant par exemple à leur père une autorisation que leur mère vient de leur refuser, ou en allant regarder chez leurs grands-parents des programmes qu'ils n'ont pas le droit de voir à la maison. En réalité, tous ces conflits leur apprennent à composer, souvent habilement, avec les désaccords qu'ils perçoivent dans leur entourage. C'est une sorte d'apprentissage de la vie en groupe. Tout comme braver les interdits est aussi une manière de mesurer l'autonomie et l'indépendance qu'ils sont parvenus à acquérir au sein de leur famille. C'est donc une chose dont ils parlent volontiers : ils confient avoir regardé des programmes défendus par une porte restée entrouverte, jouer sur leur console à l'heure où ils devraient faire leur travail scolaire, ou écouter la radio en cachette le soir dans leur lit.