Le 15 avril 2013, deux bombes explosent près de la ligne d’arrivée du marathon de Boston, faisant trois morts et 264 blessés. Des vidéos permettent d’identifier les auteurs de l’attentat – deux frères d’origine tchétchène, Tamerlan et Djokhar Tsarnaïev. Le premier est tué au cours d’un échange de coups de feu avec la police, le second est blessé puis arrêté. Les vidéos montrent clairement les deux hommes déposant leurs bombes juste avant l’explosion, mais cela n’empêchera pas leur tante et certains médias iraniens et européens de les déclarer « victimes d’une conspiration ». Une députée à la Chambre des représentants américaine ira jusqu'à dénoncer l’auteur de ladite conspiration : le gouvernement fédéral.
Qu'est-ce qu'une théorie du complot ?
Ainsi va le monde : il ne se produit pas un événement violent, ou même dramatique, sans que des voix s’élèvent ici ou là pour dénoncer l’existence d’un improbable complot.
Ce genre de rumeur appartient au genre « théorie du complot ». L’expression, selon Pierre-André Taguieff 1, est malheureuse. Elle donne en effet à penser que les complots n’existent jamais, ce qui est évidemment faux. Aussi le sociologue préfère-t-il parler de « mentalité complotiste ». Ce qui la caractérise, c’est la tendance à attribuer tout événement dramatique à un complot ourdi en secret par un individu ou un groupe plus ou moins important.
Ce type de raisonnement s’appuie sur quatre principes fondamentaux, sur lesquels les chercheurs s’accordent 2:
• Rien n’arrive par hasard. Si une personne célèbre meurt dans un accident, cet accident a été provoqué ; si un tremblement de terre a dévasté Haïti en janvier 2010, c’est que les Américains l’ont fait déclencher par une de leurs organisations secrètes, la HAARP.
• Tout ce qui arrive est le résultat de volontés cachées. Selon un message publié sur le Net, le 22 avril 2012, « Mohammed Merah était un agent secret qui a été sacrifié afin que Nicolas Sarkozy soit réélu ».
• Rien n’est tel qu’il paraît être. Des chefs d’État annoncent ce qu’ils ont décidé ? Illusion : ils ont l’air de gouverner, mais les décisions sont prises par d’autres (les banquiers, les francs-maçons…) qui tirent les ficelles de ces marionnettes.
• Tout est lié, mais de façon occulte. Au début des années 1950, le sénateur Joseph McCarthy a réussi à faire partager à un grand nombre d’Américains son obsession anticommuniste, qui le poussait à voir partout un complot communiste contre le peuple américain. Même la fluorisation de l’eau a été présentée comme faisant partie de ce complot pour affaiblir le peuple.
À ces quatre principes de base, on peut en ajouter un cinquième, d’apparition plus récente : « Tout doit être minutieusement passé au crible de la critique. » Une méthode qu’appliquent les conspirationnistes contemporains : dans leurs livres, sur leurs sites Internet, ils accumulent les preuves des complots qu’ils dénoncent. Mais leur démarche, qu’ils qualifient de scientifique, souffre d’un vice fondamental : le complot dénoncé est posé comme un fait certain que la collecte de preuves ne sert qu’à étayer. Les faits qui ne cadrent pas avec la thèse énoncée sont ignorés, ceux qui la contredisent sont niés, les autres sont interprétés dans le sens voulu.
Les principales explications
Évidemment, il existe de vrais complots. Ce qu’il s’agit d’expliquer, c’est pourquoi les conspirationnistes n’envisagent l’histoire que sous cette forme, en déniant tout rôle au hasard, à l’erreur humaine et à l’évidence des faits.
L’une des premières explications consiste à dire que la vision complotiste est utile car elle protège de l’angoisse. Dans un monde soumis à un flux toujours croissant d’informations complexes, soumis à l’incertitude, l’univers du complotiste a le mérite d’être simple : chacun des événements ou phénomènes fâcheux que l’on dénonce – la guerre, le chômage, la pauvreté, l’assassinat d’une personnalité, un attentat – a une cause unique : l’action volontaire d’un groupe, dénoncé comme l’incarnation du mal. C’est ainsi que, selon Norman Cohn, « la forme première de l’antisémitisme fut l’antisémitisme démonologique, c’est-à-dire l’idée que le judaïsme est une organisation conspirative, placée au service du mal, (…) complotant sans trêve la ruine du genre humain ».