Tout est médical !

Des médicaments pour calmer les enfants agités, faire pousser les cheveux, soigner les personnes mélancoliques ? La médecine n’est plus seulement l’art de soigner, elle est devenue une nouvelle religion.

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On trouve au British Museum une œuvre pour le moins originale. D’une longueur de 13 mètres, sur environ 2 mètres de large, elle met en scène la vie d’un couple, par des photographies et des documents manuscrits, mais surtout par les 28 000 médicaments que la femme et son époux ont absorbés pendant leur vie, médicaments sertis dans du nylon diaphane. Ces pilules colorées représentent ce que chaque Anglais(e) s’administre comme remède, entre le berceau et la tombe : de la vitamine K à la chimiothérapie, en passant, pour la femme, par les pilules contraceptives et les hormones de substitution. Plus que l’expérience de la maladie à deux, l’ampleur de la couverture médicale publique au Royaume-Uni ou encore la puissance de son industrie pharmaceutique, Cradle to Grave donne ainsi à voir la croyance qu’ont développée les Européens dans la médecine depuis la fin du Moyen Âge.

La médecine repose sur un processus de qualification qui problématise une situation comme un mal à soigner et assigne à des savoirs, des savoir-faire, des matériaux et des services la fonction de combattre ce mal. Depuis le 14e siècle et la peste noire qui décime la moitié de la population européenne, le périmètre de la médecine s’élargit en développant un des plus puissants systèmes de croyance contemporains. Soutenu par de puissantes industries et de nombreux métiers du soin, coordonné par les pouvoirs publics, il atteint si profondément l’existence des personnes qu’il ne suscite pas seulement la confiance des malades envers ses techniques, mais aussi une forme de dépendance, comme le suggère Cradle to Grave. C’est l’adaptation de la croyance à un système technique que le concept de « médicalisation » définit désormais, dans le temps et dans l’espace.