La crise économique qui balaye l’Europe depuis maintenant près de sept ans a fragilisé un grand nombre de pays comme la France ou l’Espagne, voire précipité certains d’entre eux dans une situation de crise généralisée (Grèce et Portugal). Pourtant, parmi les vingt-huit membres que compte l’Union européenne, quelques-uns ont tiré leur épingle du jeu, à l’image de l’Allemagne et des pays nordiques. Comment expliquer de telles disparités de réussite face à la crise ? Dans les faits, les mondes du travail en Europe dévoilent leurs particularités.
Ces particularités tiennent à la fois à l’organisation du travail liée à l’histoire, aux modes de production (industrie ou tertiaire) et aux systèmes sociaux qui les accompagnent. On a longtemps opposé une Europe libérale (Royaume-Uni) et social-démocrate (continentale), une Europe du Nord, plus consensuelle et cogestionnaire, et une Europe du Sud, plus conflictuelle. On a parlé du « modèle suédois », puis du modèle danois de la flexisécurité, aujourd’hui du « modèle allemand ». Les réformes du marché du travail et l’importation des nouvelles méthodes de production (comme la lean production) ont changé la donne.
Petit tour d’horizon à partir de quelques questions clés.
1- Quelles sont les formes d’organisation du travail ?
Les travaux des chercheurs Edward Lorenz et Antoine Valeyre en 2005, issus de la troisième enquête européenne sur les conditions de travail réalisée en 2000 1, révèlent la coexistence de quatre grands modèles d’organisation du travail. Le panel de cette enquête est constitué de 20 000 salariés européens travaillant au sein « d’établissements d’au moins 10 personnes dans les secteurs d’activités économiques à dominante marchande 2 ».
• 39 % des travailleurs interrogés évoluent au sein d’organisations « apprenantes ». Cette forme d’organisation se retrouve essentiellement dans le domaine des banques et assurances. Par exemple, un chargé de clientèle dispose d’une grande autonomie, il reçoit et gère des dossiers, rencontre des clients… Autant de tâches propices à l’apprentissage, ainsi qu’au développement des compétences personnelles. Toutefois, cet employé a des contraintes de productivité : s’il est libre d’organiser son emploi du temps comme il le souhaite, il doit répondre à certains impératifs. Ces organisations apprenantes sont très représentées aux Pays-Bas ou au Danemark, où plus de la moitié des salariés travaillent au sein d’organisations apprenantes contre 38 % des salariés en France 3. Selon le psychologue du travail Yves Clot et le sociologue Michel Gollac, l’organisation apprenante est le mode d’organisation le plus favorable au bien-être de l’employé 4. En effet, l’autonomie dont jouissent les travailleurs au sein de ces organisations est un élément important en faveur de la diminution du stress et de ses effets négatifs sur la santé.
• 28 % des sondés déclarent travailler auprès d’organisations en lean production. Ce type d’organisation s’exerce dans les activités industrielles telles que la construction automobile, la fabrication de matériel électrique ou électronique. L’ouvrier y travaille en équipe, effectuant des tâches variées sur différents postes de la chaîne de production. Cette organisation est inspirée du toyotisme, modèle mis en place dans les usines Toyota dans les années 1960. Si elle demeure contraignante pour l’employé par son rythme soutenu et sa monotonie générale, cette organisation du travail est notamment présente au Royaume-Uni, en Irlande et dans une moindre mesure en France, ainsi qu’en Espagne. Concernant l’impact sur la santé de l’ouvrier, elle pallie des caractéristiques défavorables comme l’intensité du travail par d’autres plus positives comme l’acquisition par le travailleur d’une certaine autonomie.