Tutelles : l'autonomie des "incapables"

La tutelle est un dispositif juridique extrêmement puissant par lequel une personne jugée « dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts » (en raison de l’altération de ses facultés mentales ou physiques) perd l’exercice de ses droits et se voit représenter par un tuteur. Logiquement limitée à la gestion du patrimoine, la tutelle exerce néanmoins une emprise forte sur la vie des tutélaires. Comme le dit un juge des tutelles, interrogé par le sociologue Benoît Eyraud : « Par le biais des finances, c’est la personne que vous contrôlez, comment elle s’habille, ses loisirs, ce qu’elle va mettre dans son panier. »

Pourtant, la tutelle n’a pas échappé au mouvement de la valorisation de l’autonomie individuelle. La loi du 5 mars 2007, qui réforme la protection juridique des majeurs, indique désormais qu’elle est « instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne. (…). Elle favorise, dans la mesure du possible, l’autonomie de celle-ci » (article 415 du code civil). Mais comment encourager l’autonomie de ces majeurs « vulnérables » lorsqu’il faut en même temps assurer leur protection ?

B. Eyraud, qui a assisté à des rencontres entre tuteurs et tutélaires, montre que cette conciliation passe par la recherche du consentement (encadré ci-dessous). Ce qui ne lève pas les difficultés. Monsieur Rouget, par exemple, vit en hôpital et voudrait davantage que les 60 euros d’argent de poche hebdomadaire qui lui sont octroyés. La tutrice et l’assistante sociale, réticentes, lui demandent quels besoins pourraient justifier les 120 euros qu’il demande. Du dentifrice et un gel douche ? Ce ne sont pas des dépenses régulières. Un repas au Mac Donald’s, qu’il n’a pu s’offrir lors de sa dernière sortie ? Idem. Un ticket de métro ? Il faut les acheter en carnet, donc cela reste une dépense exceptionnelle. L’assistante sociale veut bien accéder aux demandes de M. Rouget, si elles ont un « sens ». Mais les sept euros d’un repas au Mac Donald’s ont-ils un « sens » ou non ? demande-t-il ironiquement… L’infirmière souligne, elle, qu’avec 120 euros sur lui, M. Rouget risque d’être dépouillé par les autres patients. Finalement, c’est la fatigue générale qui conduit à un accord sur un montant de 80 euros. Mais le tutélaire y a-t-il consenti ou cédé ?