«Je n'ai jamais connu d'aventures, a dit en substance Jean-Paul Sartre; il m'est juste arrivé des histoires. » C'est à ce genre d'aventures que l'on pense en refermant le livre de Daniel Friedmann : celles, inattendues mais pas forcément très sportives, des gens à qui l'étude et la recherche scientifique, activités plutôt sédentaires, servent de moyen de satisfaire leur appétit de connaître le monde et ceux qui l'habitent.
D. Friedmann, chargé de recherche au CNRS, est, selon son éditeur, un « sociologue psycho-rock'n roll ». Bien sûr, il est l'auteur de plusieurs ouvrages scientifiques, mais qui couvrent un spectre thématique inhabituellement large : de la pratique des guérisseurs et psychothérapeutes à une histoire du blue-jean, puis à une histoire des juifs d'Ethiopie... Dans ce récit autobiographique intellectuel, professionnel et sentimental, D. Friedmann tente de mettre en évidence le lien qui unit ses travaux, et pour cela écrit ce qu'il n'a pu mettre ni dans ses rapports d'enquête, ni dans ses ouvrages de recherche, mais qui au bout du compte conditionne l'ensemble de son parcours. Il laisse sa personne faire irruption dans le champ de sa science et, à travers son cas, il touche aussi à un aspect de son époque : celui du déplacement des idées qui graduellement ouvrit l'ère de « l'après-soixante-huit », en autorisant des manières moins politiques et moins utopiques de regarder le monde.
En 1968, D. Friedmann avait 25 ans, avait lu tout Althusser, Freud et Lacan peut-être, s'imprégnait des citations du président Mao et probablement écoutait beaucoup Bob Dylan. Il lui en restera une capacité certaine à s'intéresser au sort de ceux qui souffrent d'une forme ou d'une autre de discrimination. Toutefois, l'histoire qu'il nous raconte dans ce livre commence dix ans plus tard, alors que les révolutions n'ont plus si bonne réputation, mais que les espoirs de libérer l'homme de ce qui l'étouffe sont encore vivants.
D. Friedmann s'intéresse alors à ce qu'il nomme les « pratiques du changement individuel et subjectif volontaire ». Plus couramment, cela désigne la psychanalyse et toutes les techniques corporelles, verbales et groupales tournées vers le développement de soi, en Europe et aux Etats-Unis. Pourquoi un tel projet d'étude ? En fait, comme il l'écrit lui-même, il s'agit bien sûr d'observer, mais aussi de « participer au maximum », et de s'engager, sur les traces du patient de ces thérapies, généralement peu atteint mais insatisfait de lui-même, en quête de la thérapie absolue, celle qui délivre de tout malheur.