Entretien avec Maurice Godelier

Un musée pour les cultures

Les musées ethnographiques sont-ils des survivants du xixe siècle ou peuvent-ils être une source de connaissances vivantes des cultures du monde contemporain ? Maurice Godelier, ethnologue et directeur scientifique du projet de Musée des Arts et des Civilisations, répond à cette question et à quelques autres.

Sciences Humaines : Les musées d'ethnographie ont accompagné la naissance de l'anthropologie comme discipline, et souvent l'ont précédée. En France, le Musée de l'Homme, inauguré en 1937, a abrité le premier centre de recherches spécialisé en anthropologie sociale. Depuis la Seconde Guerre mondiale, cependant, l'anthropologie et le Musée n'ont cessé de prendre des distances. Pourquoi ?

Maurice Godelier : Marcel Mauss et Paul Rivet avaient conçu le Musée de l'Homme dans le contexte de l'Empire colonial français. Ils avaient la volonté de faire connaître la diversité des cultures, de rassembler des objets scientifiquement intéressants : « Une cuiller vaut bien une oeuvre d'art », disait Marcel Mauss. A la même époque, les milieux artistiques et littéraires célébraient les « arts primitifs » et s'en inspiraient : dès 1909, Apollinaire avait demandé leur entrée au Louvre. Les ethnologues, eux, prônaient une ouverture vers tous les objets de la vie matérielle. Le Musée de l'Homme est parti sur cette idée, en associant la recherche et la collecte d'objets témoins.

La recherche ethnologique s'est distanciée du Musée de l'Homme après la Seconde Guerre mondiale, car elle s'est déplacée vers l'étude des faits sociaux et des cultures : la parenté, le pouvoir, les pratiques rituelles, les savoirs oraux. Ce sont ces réalités en partie immatérielles qui sont passées au premier plan. Les ethnologues de ma génération ont encore collecté quelques objets : j'ai rapporté au musée une caisse d'outils de pierre de chez les Baruya de Nouvelle-Guinée. Mais cela a été ma dernière occasion. Ensuite, je n'ai plus fait que des films, comme la plupart de mes collègues. Tout cela a mis en veilleuse l'intérêt pour les objets, ainsi que les rapports de l'ethnologie avec l'art. Les chercheurs de ma génération ont tous travaillé sur le même type de matériau : des rites, des danses, des pratiques sociales, des textes et des images. Les objets ne nous intéressaient que lorsqu'ils formaient système. Il y a une autre raison plus prosaïque à cette désaffection : le Musée de l'Homme n'a jamais disposé d'un budget régulier pour acquérir des objets. Des donateurs lui ont cédé des collections. Mais pour l'essentiel, ce sont des chercheurs qui ont collecté ces objets et fait ce musée comme ils le pouvaient.