Un petit livre est venu, en 2005, secouer le petit monde de l'institutionnalisme français. L'économie n'est pas une science morale, de Bruno Amable et Stefano Palombarini, est d'abord une charge virulente contre l'économie des conventions, courant en vogue en France depuis les années 1990. En ligne de mire, l'idée selon laquelle l'arène économique serait le lieu d'un affrontement entre des principes de justice rivaux, que l'émergence des institutions (par exemple un mode d'organisation et de rétribution du travail) viendrait réduire. S'essayant à la critique interne de cette approche, les auteurs marquent surtout les esprits en esquissant une analyse radicalement politique des institutions.
Point de convergence des groupes sociaux vers un bien commun : le politique est l'espace où le conflit « peut être arbitré et neutralisé, mais jamais dépassé ». Les auteurs mettent en cause la notion même d'intérêt général, qu'on veuille l'incarner dans les individus moraux postulés par certains conventionnalistes ou dans l'Etat. De même que ce dernier hiérarchise les intérêts particuliers selon la capacité de mobilisation des groupes qui les portent, les institutions sont des compromis entre des acteurs aux pouvoirs de négociation asymétriques. Dans la seconde partie de leur ouvrage, les deux économistes avancent une contribution décisive à la théorie des institutions, dans le sillage de Machiavel et de Pierre Bourdieu (voir Robert Boyer, Une théorie du capitalisme est-elle possible ?, Odile Jacob, 2004).