Comment le capitalisme parvient-il à mobiliser des millions d'hommes et de femmes - entrepreneurs, financiers... mais aussi simples employés, ouvriers, cadres... - autour d'une cause n'ayant pourtant pas d'autre finalité qu'elle-même : l'accumulation de capital ?
C'est l'élucidation de ce mystère qu'entreprend ce livre, en cherchant à repérer les « croyances qui contribuent à justifier l'ordre capitaliste et à soutenir en les légitimant les modes d'action et les dispositions qui sont cohérents avec lui ». On l'aura compris, ses auteurs s'inscrivent dans la filiation du sociologue Max Weber qui, dans L'Ethique protestante et l'Esprit du capitalisme, avait déjà cherché à montrer comment le capitalisme avait trouvé, à la faveur de la Réforme, des motifs moraux en correspondance avec les exigences de l'accumulation de capital. Avec l'éthique protestante, en effet, s'imposait la croyance selon laquelle le devoir s'accomplit d'abord par l'exercice d'un métier dans le monde et non par un retrait dans la vie religieuse.
Tout en renouant avec cette tradition webérienne, Le Nouvel Esprit du capitalisme s'inscrit aussi dans la continuité du précédent ouvrage de Luc Boltanski, coécrit avec Laurent Thévenot. On y retrouve la fameuse théorie des « cités » et le langage si particulier qui s'y rattache...
Au sens « boltansko-thévenotien », une cité est un ordre de justification qui confère sa légitimité à une activité dominante ou reconnue comme telle à un moment donné de l'histoire. Une cité concourt à définir les « épreuves » qui permettent de sélectionner d'une manière juste ceux qui pourront en tirer avantage (soit les « grands » par opposition aux « petits »). Rappelons encore qu'une cité s'incarne dans un modèle de vie susceptible de « servir d'aune pour porter des jugements sur la valeur des êtres selon la contribution qu'ils apportent au bien de tous ainsi conçu ».
Le capitalisme du xixe siècle s'était ainsi incarné dans la figure de l'entrepreneur bourgeois, tandis que le capitalisme taylorien des années 30-60 était symbolisé par les figures du cadre et du directeur de la grande organisation industrielle.
Pas moins que les autres, le capitalisme qui se dessine dans le contexte de la mondialisation ne peut prétendre engager les personnes indispensables à la poursuite du processus d'accumulation sans susciter une figure idéal-typique à laquelle elles puissent s'identifier pour trouver les justifications morales de leur engagement. Pour identifier cette figure, les auteurs ont porté leur attention sur la littérature managériale des années 90 et, à des fins comparatives, des années 60, en constituant deux corpus d'une soixantaine de textes chacun. Soit plus de mille pages, qui ont été analysées à l'aide d'un logiciel permettant d'identifier les notions récurrentes.