En France, le débat sur l'autonomie des universités fait l'actualité. Les uns en réclament plus au nom de la modernisation, les autres craignent une dérive vers plus de concurrence et de dépendance vis-à-vis des pouvoirs économiques, les uns pensent que l'autonomie est nécessaire pour transformer les pratiques universitaires, les autres estiment qu'une politique nationale est une garantie de préservation du service public. Bref, la question du gouvernement des universités se pose avec acuité et notamment celle du rôle respectif de chacun des niveaux de décision.
Historiquement, l'université française a été marquée par la centralisation mais, depuis quelques années, les établissements acquièrent une réelle existence même si cela se fait de façon très inégale 1. Quelles sont les conditions d'existence d'une politique d'établissement ? Quels sont les obstacles et les éléments favorables à son affirmation ?
Comment le pouvoir d'établissement s'exerce-t-il ?
L'université est d'abord caractérisée par une multitude de niveaux et de lieux de décision dont les champs respectifs de compétence ne sont pas toujours explicités et s'entremêlent parfois. A cela s'ajoute la multiplicité des modes de décision, mêlant inégalement consultations et négociations, décisions et mise en oeuvre plus ou moins réelle. Il convient aussi de tenir compte des positions des personnels et de leurs organisations représentatives car les syndicats occupent une place non négligeable et, même si le nombre d'adhérents reste modeste, leur représentativité est assez forte aux élections. Enfin, deux niveaux de responsabilités existent à l'université. Il y a les personnels administratifs, qui assurent la continuité et le fonctionnement quotidien de l'organisation, et les universitaires, qui assument des responsabilités. Les premiers ont la compétence technique et la disponibilité tandis que les seconds ont la responsabilité politique mais l'exercent à des degrés divers selon leurs intérêts et leurs capacités. Dès lors coexistent plus ou moins harmonieusement la légitimité politique des élus, la légitimité administrative des responsables hiérarchiques et la légitimité personnelle des universitaires réputés.
Dans un tel contexte, comment s'exerce le pouvoir d'établissement ? N'est-il pas finalement assez restreint ? Il l'est par la collégialité, qui incite à considérer que tout se discute et se négocie, par l'autonomie des composantes, par l'esprit d'indépendance des universitaires, par les pratiques informelles et par le poids du ministère. Le pilotage d'établissement s'avère alors difficile car il est constamment discuté ou négligé en pratique. Toute direction est ainsi suspectée d'exercice excessif du pouvoir et beaucoup ne se sentent pas engagés par les décisions. Dans cet enchevêtrement de pouvoirs multiples, deux sont particulièrement forts (les pouvoirs facultaires et les pouvoirs disciplinaires) et constituent souvent des obstacles à l'affirmation d'un pouvoir d'établissement.
Feu les facultés ?
Les premiers sont les pouvoirs facultaires, qui remontent à la constitution historique des universités. Faculté de médecine, de droit, d'histoire, de lettres, etc. avec leurs cultures académiques propres et leurs logiques professionnelles qui aujourd'hui encore en font des entités très différentes. On sait par exemple que les facultés de droit sont relativement autonomes et peu perméables aux courants dominants des sciences sociales et humaines, tant en raison des cursus, des liens avec les professions juridiques que d'un conservatisme des corps professoraux et d'une autonomie académique revendiquée. Longtemps, les facultés ont occupé une position dominante et c'est seulement à partir de la loi Faure de 1968 qu'elles ont perdu de leur pouvoir. Mais ce mouvement est loin d'être général et certains établissements continuent d'être des juxtapositions de composantes, dans lesquelles les facultés disposent d'un pouvoir important qui génère des effets de « balkanisation ». L'une des questions importantes aujourd'hui est sans doute celle de la répartition des responsabilités entre instances d'établissement et directions d'UFR (unité de formation et de recherche, les anciennes facultés).
A cela s'ajoutent les pouvoirs des disciplines académiques. Ceux-ci sont également très anciens. Un économiste ou un mathématicien déroulent leur carrière dans le cadre d'une communauté académique de pairs, qui les accepte ou les rejette, non seulement en fonction de leurs mérites scientifiques, mais aussi en lien avec leur conformité aux usages et règles de la discipline. Nul ne peut accéder à une carrière en histoire valable s'il n'est agrégé et ne respecte pas les codes de l'administration de la preuve qui prévalent dans cette discipline.
La force de ces institutions provient en premier lieu du fait que le recrutement des enseignants dépend d'elles. Leurs logiques respectives sont cependant différentes. D'un côté, les universités et les UFR demandent des postes et définissent les profils des enseignants-chercheurs à partir de priorités en matière de recherche et de formation. Elles souhaitent aussi recruter des personnes susceptibles de les conforter dans ces priorités.