Variations libres autour du couple

Comment choisit-on son conjoint ?

L’attirance pour l’autre n’est pas le fruit du hasard. Elle ne naît pas de pulsions inconscientes obscures. Il existe un « espace social » des jugements amoureux. On choisit généralement son conjoint en fonction des critères valorisés au sein de son groupe social, tout comme son habitation, ses loisirs… On rencontre son partenaire dans son cercle amical, dans son milieu professionnel… C’est le phénomène d’homogamie sociale largement étudié par les sociologues.
Comment les critères physiques entrent-ils alors en jeu ? Les femmes de milieux populaires apprécient des hommes présentant une certaine solidité physique, alliée à un comportement jugé « sérieux » conforme à un idéal de stabilité. Les femmes des milieux aisés valorisent de préférence des hommes minces et de haute taille, critères qu’elles perçoivent comme une manifestation de supériorité sociale. À ce titre également, elles mettent en avant la bonne éducation reçue, prémices à une bonne intégration socioprofessionnelle.
Si en matière de silhouette, la préférence pour les femmes minces est prédominante chez les hommes, les ouvriers se distinguent en valorisant les femmes plus « rondes ». Le comportement des cadres est cependant à part. Ceux-ci plébiscitent le modèle féminin le plus largement valorisé : femme mince, grande, blonde, aux yeux clairs. D’autre part, pour ces catégories d’hommes, l’habillement joue un grand rôle dans le choix du partenaire. 60 % d’entre eux se souviennent comment leur femme était vêtue à leur première rencontre…

À lire :
Michel Bozon et François Héran, La Formation du couple. Textes essentiels pour la sociologie de la famille, La Découverte, 2006.


L’argent a-t-il un sexe ?

« La réussite pour un homme, c’est d’être parvenu à gagner plus d’argent que sa femme n’a pu en dépenser », persiflait Sacha Guitry. L’argent a-t-il un sexe ? À l’heure où bien souvent les deux conjoints travaillent et approvisionnent le compte, le stéréotype de la femme dépensière et de l’homme « portefeuille » est dépassé. L’argent coule des deux sources, il faut désormais négocier son utilisation.
Pour autant, les dépenses conjugales sont-elles désexualisées ? Une enquête Ifop réalisée en 2004 montre que 75 % des femmes et 62 % des hommes considèrent que « les deux sexes n’ont pas le même comportement en matière d’argent ». Bernard Prieur et Sophie Guillou, respectivement psychanalyste et journaliste, l’établissent : le partage des dépenses reste assez traditionnel au sein des couples malgré l’émancipation professionnelle du sexe dit « faible ». Aux femmes, les frais du quotidien (alimentation, habillement, éventuellement frais des enfants). Aux hommes, les gros achats (logement, électroménager) et les impôts. Cette division, certes socioculturelle, serait-elle en partie naturelle ? Pour B. Prieur et S. Guillou, dans la mesure où la notion monétaire est intrinsèquement liée à la notion de plaisir, il n’est pas absurde de penser que se joue dans l’utilisation de l’argent ce qui se joue dans le lit conjugal. Hommes et femmes ne jouiraient pas des mêmes dépenses. Les hommes seraient ainsi naturellement portés vers des dépenses qui touchent à la puissance, les femmes, vers des achats qui relèvent du bien-être et de l’esthétique. L’homme serait plus dans l’avoir, la femme plus dans l’être…
B. Prieur et S. Guillou constatent par ailleurs que « les patients qui viennent consulter en thérapie abordent avec moins de pudeur la question de la sexualité que de l’argent partagé ». L’argent, une notion taboue ? Plus précisément, c’est l’articulation entre sentiments et argent qui pose problème. Avec ce théorème implicite : l’amour est gratuit. Quand on se met à compter, c’est que l’on n’aime plus. Provoquer une dispute au sujet des finances peut à ce titre signifier que l’on attend plus de l’autre, que notre « valeur » n’est pas suffisamment reconnue au sein du couple et « payée » de retour…

À lire :
Bernard Prieur et Sophie Guillou, L’Argent dans le couple. Peut-on s’aimer sans compter ?, Albin Michel, 2007.


La fin du compte commun ?


Si 75 % des plus de 65 ans font compte commun, ils ne sont que 47 % des 25-34 ans à ne faire qu’un de leurs revenus. Seuls 27 % des 18-24 ans adoptent ce modèle économique. À l’heure où un tiers des unions se solde par un divorce, il s’agit pour chacun des conjoints d’assurer son indépendance. Pour les femmes surtout, il faut pouvoir s’assumer seule quand survient la rupture.


Bastion, cocon ou compagnon ? Petite typologie des couples

Bastion, cocon, association, compagnonnage, parallèle… Il existerait, selon les sociologues, cinq types distincts de fonctionnement conjugal. Que recouvrent ces catégories ?
• Le style bastion. Dans ce type d’union, les revendications d’autonomie de la part de l’un ou l’autre des conjoints sont très faibles. Le couple met en avant la fusion. Les conflits sont évités au maximum au profit du consensus. Le rôle de chacun des conjoints est sexué de façon traditionnelle : la femme est plus intérieure (famille, sécurité), l’homme fait figure d’ambassadeur du ménage à l’extérieur.
• Le style cocon. Confort et sécurité psychologique sont les maîtres mots de ces unions conjugales. Il s’agit pour chacun des partenaires de privilégier la tendresse et la détente, avec une idée de protection vis-à-vis de l’extérieur. Le cercle de fréquentation de ces couples est stable, les conjoints sortent peu et ont un intérêt tout relatif pour les faits économiques et sociaux. De par leur goût pour la fusion, ces couples se rapprochent du style bastion. Cependant, dans ce style d’union, les rôles de la femme et de l’homme sont moins différenciés.
• Le style association. La relation trouve son équilibre dans la négociation, la communication. L’accent est mis au sein du ménage sur l’autonomie des conjoints, chacun nourrissant le couple de ses expériences individuelles. Les deux personnes aiment voyager, sortir, découvrir. Ce type est particulièrement fréquent chez les unions sans enfants.
• Le style compagnonnage. Ce type de couple s’appuie à la fois sur la fusion et l’ouverture à l’extérieur. Les deux conjoints ont le souci de partager des activités, des passions, des centres d’intérêt, mais restent attentifs à la vie sociale, sortent souvent, ont de nombreux amis. Le pouvoir de décision est réparti de la façon la plus égalitaire possible entre les deux personnes.
• Le style parallèle. L’unité du couple repose sur la complémentarité. Les fonctions des partenaires sont bien contrastées : l’homme a un pouvoir décisionnel, la femme fait figure de soutien. Les conjoints ont des activités et des idées distinctes, qu’ils partagent peu. Les deux personnes sont par ailleurs plutôt indifférentes aux événements extérieurs. Sécurité et ordre sont les valeurs mises en avant.
Selon cette étude, ce sont les conjoints du style compagnonnage se déclarent les plus satisfaits de leur relation.

À lire :
Jacques Lecomte, Donner un sens à sa vie, Odile Jacob, 2007, dans lequel est citée l’étude de Jean Kellerhals, Éric Widmer et René Lévy, « Conflits, styles d’interactions conjugales et milieu social », Revue française de sociologie, vol. XLV, n° 1, janvier 2004.


L’enfant, ciment du couple ?

Le risque de rupture est plus important pour les couples qui n’ont pas d’enfants. Si la présence d’un jeune enfant protège les couples d’une rupture, dès lors que l’enfant atteint 4 ans, les conjoints ont le même risque de séparation que les couples sans enfants.
Le nombre d’enfants détermine-t-il la solidité de l’union ? De toute évidence, oui. Quand le dernier enfant a plus de 6 ans, la présence de deux enfants réduit de 16 % le risque de rupture. La présence de trois enfants le réduit de 19 %.
« Une des manières classiques de faire tenir un couple est de faire deux enfants, car cela permet de créer une répartition des alliances », considère Alain Valtier, psychanalyste et psychothérapeute. Chacun des deux conjoints pourrait concentrer son attention particulière sur l’un des enfants, créant un équilibre qui peut persister dans le temps.
Quant au troisième enfant, il arriverait souvent pour pallier un manque de projet commun dans le couple. Il serait « le symbole d’une installation définitive, d’un point de non-retour », explique le psychiatre Jacques-Antoine Malarewicz.

À lire :
Alain Valtier, L’Amour dans les couples, Odile Jacob, 2006 ; Laurent Toulemon, « La place des enfants dans l’histoire des couples », Population, vol. XLIX, n° 6, 1994 ; Jacques-Antoine Malarewicz, Repenser le couple. Hommes et femmes : comment vivre à deux aujourd’hui, Laffont, 2001.


Le couple hétérosexuel : un duo improbable ?


C’est bien connu, les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus… Les théories de la psychologie évolutionniste sont loin d’être partagées par l’ensemble du monde scientifique. Il n’empêche que les travaux se multiplient dans ce domaine, au point que nul ne peut plus les ignorer. Ce sont eux qui, s’appuyant sur la neurobiologie, avancent la radicale différence entre les deux sexes, due à une production diversifiée d’hormones – testostérone pour lui, œstrogènes pour elle.
Alors, se demande la neurobiologiste Lucy Vincent, qu’est-ce qui fait que la vie de couple peut s’installer alors qu’elle est coquette, douce et proprette et lui, compétitif, agressif et laissant traîner ses chaussettes ? Eh bien, tout simplement l’amour ! Mais oui, celui qui fait mourir Roméo et Juliette, qui provoque la guerre de Troie lorsque Pâris voit la belle Hélène… Cet amour qui fait battre nos cœurs et abattre des montagnes, nous rend sourds et aveugles, et même dépossédés de tout jugement rationnel… Que l’on ne s’y méprenne pas cependant ! L’amour, nous dit L. Vincent, serait une ruse de notre cerveau pour annihiler – pendant un temps – l’irréductible différence entre les deux sexes et établir une trêve nécessaire aux besoins de la reproduction. La responsable en serait l’amygdale de notre cerveau qui filtre nos jugements et en conditionne les réactions. Elle gommerait tous les jugements négatifs à propos de l’autre en produisant, grâce à la dopamine, une formidable stimulation réciproque du système émotionnel des deux partenaires…
Mais l’amour, nous disent aussi les neurobiologistes, ne rime pas avec toujours ! Il durerait trois ou quatre ans ; après quoi, moyennant une diminution du taux de dopamine, l’ennui risque de s’installer… Et l’auteure de conclure que plutôt que de se demander pourquoi tant de couples divorcent, il serait plus judicieux de comprendre pourquoi les couples restent ensemble, une fois l’amour passé ! Si la démonstration est plus mathématique que poétique, la suite peut mettre un peu de baume au cœur : selon sociologues et psychologues, le couple peut s’installer dans la durée lorsque la passion amoureuse laisse place à une sorte d’attachement fait de complicité et d’habitudes, sans oublier le respect mutuel qui garantit à chacun la reconnaissance de son identité.


Le couple, facteur de longévité ?


On vit plus vieux lorsque l’on est en couple, nous disent les statistiques. Quel que soit l’âge, les personnes seules ont une plus grande mortalité : 2 à 3 fois plus élevée entre 40 et 50 ans ! Pour les plus âgés, c’est la même chose : entre 80 et 90 ans, même si, on le sait, les hommes meurent plus tôt que les femmes, chacun des vieux conjoints bénéficie de quelques années de plus en moyenne lorsque le couple est toujours là. Petite consolation pour les célibataires : à partir d’un certain âge, les personnes qui n’ont jamais vécu en couple ont moins de risque de décès (dans l’année) que les autres : 77 % pour les hommes célibataires de plus de 80 ans et 47 % chez les femmes (contre 88 % pour les hommes veufs ou divorcés et 50 % pour les femmes).

À lire :
Rachis Bouhia, « Les personnes en couple vivent plus longtemps », Insee première, n° 1155, août 2007. www.insee.fr


À chacune son Peter Pan…

Léon refuse de participer aux tâches ménagères dans son couple : « C’est bon pour les jeunes cette histoire-là. Nous, on est ancien système. » Zoé, elle, raconte sur un ton fatigué : « Quand il rentre dans le lit, il soulève la couette, ce qui me fait des courants d’air. » La vie conjugale, hélas, n’est pas exempte de ce genre de petits agacements… L’amour rend aveugle, dit-on, de manière éphémère, faut-il ajouter. L’éclat de voix autour du tube de dentifrice mal refermé cristallise bien souvent la difficulté à s’adapter au « système-monde » de l’autre, une fois le temps d’idéalisation du partenaire terminé. « Le partenaire conjugal reste, toujours, un étranger, profondément différent malgré le travail quotidien d’unification », avertit Jean-Claude Kaufmann. D’une part, parce que chacun amène dans le couple sa mémoire, son éducation, en somme une certaine idée de la vérité. D’autre part, parce qu’hommes et femmes n’ont pas les mêmes attentes en matière de vie commune. « Les femmes attendent davantage de la relation à titre personnel, et elles sont en première ligne de l’organisation concrète, subissant la charge mentale qui en résulte », observe le sociologue.
Daniel Welzer-Lang rappelle pour sa part que les contraintes domestiques sont appelées « corvées » à l’armée. Il stipule également que l’évaluation du propre et du rangé diffère d’un sexe à l’autre. L’homme a une attitude curative, il nettoie « quand il voit et sent que c’est sale ». La femme a une attitude plus préventive. Elle va, par exemple, organiser de façon méthodique les changements de draps et de vêtements. D’où d’inévitables conflits. Ce qui est aussi à l’œuvre chez nombre de femmes, analyse J.‑C. Kaufmann, c’est ce sentiment diffus d’avoir affaire à un « homme enfant ». « Je lui demande de faire les courses, je lui fais une liste détaillée (quel rayon, quelle marque pour limiter les dégâts) : en moyenne, un quart des courses est à ramener ou à échanger à chaque fois ». Des Peter Pan par centaines ? Pierre Bourdieu reconnaissait en 1990 la capacité des hommes à mobiliser les dispositions à la compassion maternelle chez les femmes. Pour J.‑C. Kaufmann, l’homme joue dans le couple « l’idéologue de la décontraction ». C’est l’éloge du cool, des plaisanteries… Les femmes, pour leur part, seraient contraintes de quitter le monde de la jeunesse plus tôt pour vivre sérieusement, leur horloge biologique étant plus contraignante… Daniel Welzer-Lang, , Payot, 2007 ; Jean-Claude Kaufmann, , Armand Colin, 2006.