Comme chargé de cours à l’université de Vienne, Sigmund Freud, le samedi soir, donnait des conférences à de petits publics depuis le milieu des années 1880. En 1902, bien que son prestige académique se trouvât renforcé par sa nomination au titre de professeur honoraire, ces rendez-vous n’attiraient toujours qu’un public clairsemé. Au cours de cette même année, cependant, le travail de Freud suscita un intérêt sérieux de la part de médecins locaux. L’hiver 1902, il invita quatre de ses collègues à le rejoindre à son domicile pour discuter de psychologie et de neuropathologie. En l’honneur de la journée choisie pour leurs réunions, le groupe fut baptisé la Société psychologique du mercredi (Psychologischen Mittwoch-Gesellschaft), et s’ajouta aux nombreux autres petits groupes, associations, clubs et partis qui fleurissaient dans la Vienne du début du siècle. Cette société n’était pas l’idée de Freud. L’impulsion était venue d’un médecin local, Wilhelm Stekel. Et le plus jeune membre du groupe était Alfred Adler. Si Freud jouissait d’une réputation académique et de la fidélité d’un petit groupe, c’était sans célébrité. Les médecins se réunissant chez lui ou assistant à ses conférences constituaient son seul auditoire. Et ses livres se vendaient mal : il faudra treize ans pour écouler les 626 exemplaires des Études sur l’hystérie, et huit pour les 600 exemplaires de L’Interprétation du rêve.
Freud, vedette de l’intelligentsia viennoise
Puis tout à coup, ce médecin libéral d’âge mûr se retrouva adopté par des profanes rêvant d’une nouvelle culture. Leur monde n’était pas celui de l’université, de la clinique ou du laboratoire, mais des cafés de Vienne pour artistes, écrivains, réformateurs et utopistes dont les nombreux journaux constituaient le repas quotidien. Grâce à son livre sur le rêve, le nom de Freud commençait à apparaître dans la presse. Mais le médecin ne semblait guère impressionné. Il avait nourri de grands espoirs de reconnaissance scientifique, et se montrait déçu du peu de réaction suscité par son travail chez ses collègues.