Chaque année en France, environ 2 millions d'intérimaires occupent 550 000 à 650 000 emplois équivalents temps plein (ETP). Durant ces vingt dernières années, la place du travail temporaire (TT) a connu une forte croissance. Or l'intérim, qui est souvent une forme de sous-emploi, participe de la montée de la précarité et de différentes formes de pauvreté.
Le contrat de mission (entre l'intérimaire et l'agence) est en effet précaire. Il donne des droits que les nombreux accords signés dans la branche du TT ont étendus, mais ceux-ci ne jouent que pendant la durée de la mission. Si nombre de salariés en CDI craignent pour leur avenir face aux licenciements 1, un intérimaire, lui, est toujours dans le temporaire. Son emploi a toujours une échéance, y compris quand la mission est prolongée et le contrat renouvelé. Ce contrat est provisoire par nature, aucune entreprise de travail temporaire (ETT) ne promet jamais de fournir une mission suivante, même pour les intérimaires qu'elle entend « fidéliser ». La disjonction entre les relations d'emploi (avec l'ETT) et de travail (avec l'entreprise utilisatrice) propre au triangle de l'intérim (voir schéma ci-contre) implique une instabilité des liens de travail, y compris quand la relation d'emploi (avec une agence) se prolonge.
Les contrats ont une durée variable, souvent courte (deux semaines en moyenne selon le Sett 2, dix jours selon l'Unedic). Même si le TT ne conduit pas systématiquement au chômage (c'est plutôt le chômage qui conduit à l'intérim), même si beaucoup d'intérimaires trouvent un emploi après ? pas forcément grâce à ? ce passage par le TT, le chômage pèse comme une menace permanente. Entre deux missions, ceux qui sont inscrits à l'ANPE et ont travaillé assez d'heures touchent des indemnités de chômage. Ils restent en outre en relation avec leur(s) agence(s) qui cherche(nt) à « apporter un enchaînement de missions aussi régulier que possible (...), créer de la "continuité" dans la carrière des intérimaires 3 » et affirme(nt) les accompagner mieux que l'ANPE et l'Apec à la fin d'un CDD.
Mais il y a un écart considérable entre l'objectif déclaré et la réalité.
Un intérimaire n'a en effet aucune stabilité en ce qui concerne son lieu de travail (il change sans cesse d'entreprise, d'établissement, d'atelier, de service, de bureau), son travail (il doit s'adapter à de nouvelles machines, de nouveaux logiciels, de nouvelles méthodes, de nouvelles exigences de temps et de qualité), les gens qu'il côtoie (hiérarchie, collègues, clients). C'est notamment ce que révèlent l'enquête, menée entre 1999 et 2003 auprès de nombreux acteurs du TT, et les 66 entretiens réalisés alors avec des intérimaires 4. Ces derniers sont à chaque fois obligés de faire leurs preuves ; les contraintes professionnelles comme les relations sont modifiées en permanence. Tout cela pèse : « Chaque fois que j'ai une mission, deux jours avant, j'ai mal au ventre. La première semaine, je ne suis pas très bien, après ça passe » (Corinne, 51 ans, secrétaire de direction).
La vie en intérim est faite de provisoire, d'intermittence, d'instabilité, d'incertitude et de fragilité. Même si de nombreux intérimaires disent néanmoins apprécier l'absence d'engagement, la mobilité, voire « la liberté », très peu ont voulu et moins encore souhaitent voir durer cette situation qui dégrade la qualité de leur intégration professionnelle et sociale.