Pour juger de l’état des violences en France, beaucoup se lancent bille en tête sur l’actualité spectaculaire : hier, ils évoquaient le terrorisme et les controverses qui se sont greffées dessus, aujourd’hui ce sont les émeutes urbaines qui focalisent l’attention. À eux seuls, ces phénomènes ne permettent pourtant pas de faire émerger des tendances de long terme. Il semble préférable de chercher d’abord des indicateurs dans les mesures de la délinquance. Les agressions sont-elles réellement en hausse ? Comment parvient-on à les mesurer ? Existe-t-il une coïncidence entre les faits de violence, tels qu’on peut en mesurer l’évolution, et notre ressenti subjectif ?
1 - Mesurer les violences : une hausse des agressions ?
L’agression relève d’une criminalité à victime directe – par opposition à celle sans victime directe, comme la fraude fiscale ou l’émission de fausse monnaie… La police en prend le plus souvent connaissance par la plainte des victimes. On dispose par ailleurs d’un instrument particulier, l’enquête de victimation (encadré ci-dessous), ainsi que des statistiques sur les décès.
– Les homicides. Le nombre de tués constitue le premier indicateur de violence, celui auquel on pense tout d’abord. Les comptages policiers des homicides pointent une croissance depuis 2010, mais elle est due à l’envol soudain des tentatives d’homicides (et non des homicides consommés). On peine à l’expliquer, sauf à soupçonner une posture nouvelle consistant à poursuivre comme tentatives de crimes de meurtre ou d’assassinat des agressions qu’on aurait naguère seulement qualifiées de délits de coups et blessures.
Si on se concentre sur le cas des homicides consommés (fig. 1), la statistique de police indique un taux relativement stable de 1,3 pour 100 000. Les dernières années semblent toutefois indiquer la fin de la légère tendance baissière antérieure. La statistique des causes de décès de l’Inserm (0,6 pour 100 000) confirme un ordre de grandeur très faible. Cependant, la comparaison entre les deux sources 1 amène à rechercher si les chiffres policiers ne sont pas (un peu) alourdis par quelques doubles enregistrements 2.
Figure 1 : Homicides volontaires, en france taux annuel pour 100 000 habitants, 1971-2021

Sources : Intérieur (SSM-SI Inserm-CepiDc, Eurostats). Champ : France métropolitaine.
– Les coups et blessures. Plus complexe est le cas des violences physiques non létales. Paradoxalement, le comptage policier excède de plus en plus celui suggéré par les enquêtes de victimation, ce qui semble évidemment absurde. C’est que la statistique du ministère de l’Intérieur ne compte que les crimes et délits, pas les contraventions ; or, depuis quatre décennies, une bonne vingtaine de lois sont venues transformer, par le jeu des circonstances aggravantes, en délits de coups et blessures d’anciennes contraventions, soit pour montrer la sollicitude du législateur envers certaines professions (par exemple les gardiens d’immeuble et leur famille), soit pour prouver sa réprobation de certains comportements, notamment racistes et xénophobes. Le contenu de cette catégorie a donc changé et la statistique policière est devenue incapable de renseigner sur l’évolution de ces violences caractérisées. Les enquêtes en population générale ont, au contraire, conservé le critère d’origine : elles permettent de savoir que les agressions ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à 8 jours sont restées dans le même ordre de grandeur pendant toute la période observée.
Il en va d’ailleurs de même pour l’ensemble des agressions physiques non létales, même en y rajoutant celles qui sont d’une moindre gravité.
– Injures, menaces… Il est plus difficile de se faire une opinion sur le niveau et l’évolution des agressions non physiques, telles les injures ou les menaces… La statistique de police les enregistre très peu, en raison notamment du faible taux de plainte. Difficile aussi de se référer aux enquêtes nationales de victimation : une modification maladroite de formulation a engendré une rupture, qui ne permet pas de trancher de la poursuite ou non de la lente croissance observée pendant une décennie autour du tournant de siècle. En tout cas, au sein de l’enquête nationale de victimation, les ordres de grandeur des agressions non physiques sont clairement plus élevés que ceux des agressions physiques. Il est alors intéressant d’observer une différence parmi les caractéristiques des agressés : dans les agressions physiques, il y a une surreprésentation des catégories populaires et des petites classes moyennes ; parmi les victimes d’agressions non physiques, au contraire, les catégories populaires ne sont plus surreprésentées, elles cèdent la place à des CSP+ : moins exposées à la violence physique, celles-ci témoignent d’une sensibilité à des agressions pourtant moins caractérisées.