C'est une belle maison bourgeoise baignée de lumière, nichée au cœur du vieux village de Buc, dans les Yvelines, à deux pas de l’église et de la mairie. Élégante, entourée d’un jardin arboré, la maison accueille huit colocataires pas comme les autres : âgés de 76 à 92 ans, ils sont tous atteints de troubles cognitifs.
La visite des lieux est guidée par Alain Smagghe, médecin, cofondateur de La Maison des sages. Première surprise en ouvrant la porte : l’odeur ! C’est bientôt l’heure du repas et le fumet qui émane de la cuisine stimule les narines. Ici, pas d’effluves corporels nauséabonds mêlés aux relents de produits désinfectants. Ça n’a l’air de rien, mais il est rare d’avoir une telle sensation de « chez-soi » en pénétrant dans une maison de retraite. Et pour cause : nous ne sommes pas dans une institution pour personnes âgées mais dans un habitat dit inclusif (encadré ci-dessous), la résidence principale de six femmes et deux hommes qui ont emménagé ici pour partager leur vie… le plus longtemps possible.
Des auxiliaires 24 heures sur 24
Sybille, 76 ans, nous convie dans son antre. Fleurie, colorée, sa chambre est un petit nid douillet dont la vue dégagée qui s’étend jusqu’à l’horizon forestier l’enchante. Les nombreuses photos de ses proches témoignent d’une vie riche d’échanges. Aujourd’hui encore, Sybille, pour autant qu’on l’aide, peut prendre un taxi pour suivre un atelier artistique. Claudette, Françoise, Catherine, Nicole, Jacqueline, Sybille, Bernard et Robert, le dernier arrivé, sont accompagnés par des auxiliaires de vie présentes 24 heures sur 24, une orthophoniste, une kiné, des bénévoles et leurs proches, le tout dans un environnement adapté, respectueux du rythme de chacun. Violaine de Clarens, coordinatrice de « la vie sociale et partagée », organise et gère avec enthousiasme l’activité de la maisonnée. « Au début, quand on m’a parlé de ce projet, je n’étais pas trop tentée », raconte-t-elle. « L’image que j’avais des vieux, toujours de mauvaise humeur et malodorants, était un repoussoir », avoue-t-elle. Infirmière, Violaine exerçait en médecine du travail lorsqu’elle a été contactée pour se joindre au projet. « Je me suis prise au jeu, j’ai commencé bénévolement avant de quitter mon poste : j’ai d’abord trouvé la maison, puis suivi les travaux, participer au “recrutement” des résidents, cherché des partenariats avec le secteur sanitaire, la mairie », précise Violaine.
Fin 2019, la maison ouvre ses portes. Quelques semaines avant le premier confinement. « Contrairement aux Ehpad, nous n’avons jamais fermé ! », souligne A. Smagghe, qui passe deux après-midi par semaine dans la maison, à titre bénévole. Les familles ont réduit leurs visites pour limiter la propagation du virus, les visioconférences ont permis de garder le contact et de maintenir les séances d’orthophonie. Certes, il y a bien eu quelques velléités de franchir le portail, et un peu de tristesse de moins voir les proches. Mais la maison et ses résidents n’ont jamais été coupés du monde extérieur. La solidarité locale, une force de ce type de dispositif, a joué son rôle : des voisins désœuvrés ont proposé leurs services pour l’entretien du jardin et le supermarché local a offert de livrer ses produits, moyennant quoi, il est devenu depuis le principal pourvoyeur des courses. Tous les commerçants du quartier, sensibilisés à la situation des résidents, savent qui avertir si l’un d’eux s’égare un jour.