Quoi de plus attendrissant qu'une mère allaitant son enfant ? Qu'une chatte appelant désespérément ses petits disparus ? Charles Darwin partageait cette conviction. En témoignent ces propos du professeur Whewhell, qu'il cite dans La Filiation de l'homme : « Lorsqu'on lit les exemples touchants d'affection maternelle, rapportés si souvent au sujet des femmes de toutes les nations, et des femelles de tous les animaux, comment douter que le mobile de l'action ne soit le même dans les deux cas ? » Et ce mobile, c'est l'instinct maternel. Et Darwin de citer le chagrin des guenons lorsqu'elles perdent leur bébé ou le zèle qu'elles peuvent mettre parfois dans l'adoption de petits singes orphelins : « Une femelle babouin avait un coeur si grand qu'elle adoptait non seulement les jeunes singes d'autres espèces, mais volait aussi de jeunes chiens et chats, qu'elle emportait partout avec elle. » Fort de ces ressemblances évidentes entre les comportements des mères dans de nombreuses espèces animales et humaine, Darwin en concluait que l'affection maternelle faisait partie des instincts sociaux les plus puissants, et qu'elle poussait les mères humaines et animales à nourrir, laver, consoler et défendre leurs petits.
Contre cette évidence de l'instinct maternel, Elisabeth Badinter avait écrit en 1980 un livre choc, L'Amour en plus (Flammarion). Loin d'être une donnée naturelle, un instinct inscrit dans les gènes des femmes, l'amour maternel serait profondément modelé par le poids des cultures. Son dossier - bien ficelé - était de nature à ébranler les certitudes. Reprenant les travaux sur l'histoire de l'enfance, l'auteur en concluait que l'idée d'un amour maternel était une idée relativement neuve en Occident, qu'elle datait précisément des environs de 1760. Auparavant, du fait du nombre d'enfants qui mouraient en bas âge, des contraintes économiques qui pesaient sur la femme et, surtout, du peu de considération que l'on portait aux enfants (qu'on jugeait comme une sorte d'ébauche grossière d'être humain), l'attention apportée aux petits n'était pas si forte. De fait, le nombre d'enfants abandonnés ou laissés en nourrice montrait que beaucoup de mères n'étaient pas attachées à leurs petits. La littérature révèle aussi un nombre important de mères distantes et parfois brutales. Pour E. Badinter, ce n'est qu'à la fin du xviiie siècle que le rôle de mère a été valorisé et que le regard sur l'enfance a changé. C'est alors que l'on a enfermé les femmes dans le rôle de mère nourricière exigeant un dévouement total à sa progéniture.