« Deviens celui que tu es. » Tel est le mot d’ordre du philosophe Friedrich Nietzsche. La formule, qu’il emprunte au poète grec Pindare, est belle mais intrigante. Elle marque une non-adéquation : loin d’être d’emblée moi-même, je suis d’abord un être à construire. Contre une tradition philosophique qui fait du sujet une substance, unique, permanente, constante, Nietzsche n’a de cesse de montrer qu’il est au contraire pluriel, en perpétuel devenir, le lieu de conflits intérieurs, conscients et inconscients. « Deviens celui que tu es » n’a rien à voir avec le simpliste « Be yourself » et le naïf culte de l’authenticité tant vantés par les slogans publicitaires (1). L’identité n’est pas déjà là, à exhumer simplement. Elle se conquiert. Il ne s’agit pas de tenir pour rien ce dans quoi chaque être humain est pris : un corps, une histoire, des relations familiales, des valeurs sociales, des prescriptions morales qui tout à la fois nous construisent et nous entravent.
Contraintes et créativité
Devenir soi-même n’est pas la simple acceptation d’un destin, mais l’affirmation de la créativité que peut déployer chacun d’entre nous dans son existence. Il ne s’agit pas de faire l’apologie de la volonté. Cela suppose de comprendre ce qui nous détermine, c’est-à-dire à la fois ce qui nous contraint et nous définit. Je n’ai pas choisi mon corps, mon sexe, ma famille, la société et l’époque dans lesquelles je vis. Mais c’est à partir d’eux que je me construis. « Mais nous, énonce Nietzsche avec emphase, nous voulons devenir ceux que nous sommes, les nouveaux, ceux qui n’adviennent qu’une seule fois, les incomparables, ceux qui se donnent à eux-mêmes leur loi, ceux qui se créent eux-mêmes !