À qui appartient la République ?

De gauche à droite, la notion de République a tellement transité dans l’histoire que son sens s’est galvaudé. Désigne-t-elle un ensemble de croyances politiques, un modèle social ou une organisation institutionnelle ? Elle doit son caractère consensuel à ses ambiguïtés.

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L’idée de République est peut-être aujourd’hui la chose la mieux partagée du monde politique français. Elle fait l’objet d’un consensus que l’on retrouve aussi bien à droite qu’à gauche et même, dans une certaine mesure, aux deux extrêmes. Tout le monde aujourd’hui est républicain. Au point même que l’on ne se pose plus guère la question du contenu exact du mot.

Une notion peu claire

Pourtant, dès que l’on creuse un peu, la notion de République est loin d’être claire. Elle a traversé une bonne partie de son histoire en suscitant les rejets les plus violents et les polémiques les plus tenaces. Elle a surtout beaucoup évolué en termes d’expériences constitutionnelles. Car nous en sommes aujourd’hui au cinquième essai de régime républicain et le débat sur une Sixième République rebondit à intervalles réguliers. L’idée d’une « tradition républicaine » telle qu’on l’invoque aujourd’hui est donc contredite par l’extraordinaire diversité de l’histoire constitutionnelle française. L’identité de la République se dédouble entre des expériences centrées sur la prépondérance du Parlement (surtout la Troisième et la Quatrième) et le nouveau modèle apparu en 1958 de République du président. L’opposition ne concerne pas seulement le mode de répartition des pouvoirs mais bien la nature politique profonde – on pourrait même dire philosophique – de la République : d’un côté, une République qui ne conçoit la fabrication des grandes décisions publiques qu’à travers la délibération de la « représentation nationale » (l’Assemblée des députés étant le seul acteur élu au suffrage universel), de l’autre, une République qui place l’essentiel de la légitimité populaire dans les mains d’un seul homme (par son élection) et lui offre une très large panoplie de pouvoirs (plus nombreux aujourd’hui qu’hier). D’un type de régime à l’autre, la continuité de la tradition républicaine n’est donc pas du tout évidente. Un républicain de 1880, de 1900 ou même de 1950 – un Georges Clemenceau, un Jean Jaurès, un Aristide Briand ou un Paul Reynaud – crierait à la dictature en voyant le spectacle d’un exécutif qui a recours aux ordonnances, au passage d’une loi sans débat ou même à la discipline imposée à l’avance qui empêche le député de voter « en conscience ».