Aides à domicile, les ouvrières du soin

Soigner, c’est aussi s’assurer que les personnes âgées ou malades sont nourries, lavées et vivent dans un logement propre. Hors de l’hôpital ou des maisons de retraite, ces tâches sont dévolues aux aides à domicile, travailleuses précaires.

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Latifa, une aide à domicile de 34 ans, intervient quatre fois par semaine chez madame Gimié qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer. En arrivant chez la dame un matin, Latifa la trouve assise dans son fauteuil, couverte d’excréments. Il y en a dans la cuisine, sur une chaise, sur le sol. La dame a enlevé sa couche après avoir déféqué et oubliant ce qu’elle avait fait quelques minutes plus tôt, elle a déambulé dans les pièces de son pavillon. Son infirmière ne passera que le soir, sa fille unique vit en Suisse. Latifa emmène la dame dans la salle de bains, lui fait prendre une douche, la change puis fait le ménage. Latifa n’a pas le droit de faire cette toilette, elle n’a pas les diplômes. Si les aides à domicile ne sont pas considérées comme du personnel soignant, il leur arrive pourtant régulièrement de donner des médicaments, de faire des toilettes, d’aider à l’habillage ou plus simplement de tenter de faire parler une personne murée dans le silence ou de lui donner envie de continuer à se lever et à s’habiller le matin.

Ce travail de soin méconnu n’est pas nouveau. Les aides à domicile, longtemps appelées « aides ménagères », interviennent depuis les années 1960 chez des personnes âgées dépendantes pour leur permettre de continuer à vivre chez elles. La nouveauté réside dans la forte croissance de ce groupe. De 30 000 dans les années 1970, leur effectif dépasse aujourd’hui les 570 000 (Enquête Emploi 2016, Insee). Tout n’a pas bougé pour autant : les aides à domicile sont à plus de 96 % des femmes ; avec 70 % d’entre elles à temps partiel, ce sont aussi des travailleuses pauvres.

Des soins émotionnels

Pour contribuer à rendre visible cette dimension de soin, certains travaux des sciences sociales mobilisent aujourd’hui la notion anglo-saxonne de care (qui désigne le soin non reconnu ou profane par opposition au soin des professionnels de santé, le cure). La notion a plusieurs origines. Dans les années 1970, on le sait, des sociologues françaises ont mis en évidence l’importance du travail domestique réalisé gratuitement par les femmes pour leur famille. Mais dans les années 1980, d’autres chercheures britanniques, italiennes, suédoises viennent compléter cette analyse féministe en mettant l’accent sur une dimension encore jamais envisagée dans la composition du travail domestique : l’affection qu’on exige des femmes à l’égard de leurs proches. Transposé à la sphère professionnelle où sont cantonnées les femmes non qualifiées, le care attire ainsi l’attention sur les dimensions émotionnelles du travail des aides à domicile. Par exemple, Véronique, une autre aide à domicile, s’oblige à cacher son agacement quand la personne âgée chez qui elle intervient depuis quatre ans lui raconte tous les jeudis matin à son arrivée la même anecdote. Et au cours des heures de travail passées avec madame Boutet, atteinte d’un cancer de la plèvre, Yasmina tente d’apaiser les souffrances de la dame en lui chantant ses chansons préférées d’Édith Piaf et en lui caressant le bras.