Anthropologie. L'apogée fonctionnaliste

Oxford, 1940 : Edward Evans-Pritchard, de retour du Soudan et en partance pour les confins de l'Ethiopie, publie coup sur coup deux futurs classiques de l'ethnologie : Les Nuer et Les Systèmes politiques africains. Deux ans plus tard, à New Haven, Connecticut, Bronislav Malinowski, son maître, décède prématurément. Malgré divergences et jalousies, l'élève et le professeur se reconnaissaient un objectif commun : celui d'oeuvrer au succès d'une discipline relativement jeune, l'anthropologie sociale. Celle-ci, depuis vingt ans et pour vingt autres encore, s'identifie à une doctrine : le fonctionnalisme. Celui-ci s'est imposé quasiment sans partage en Angleterre contre deux manières plus anciennes de faire et de penser l'ethnologie : l'évolutionnisme et le diffusionnisme.

La première chaire d'anthropologie sociale

B. Malinowski est l'artisan de ce succès : depuis 1922, il affirme qu'aussi étranges soient-elles, les moeurs des sociétés doivent s'expliquer par leur présent, et non par leur passé. Ensuite, il répète sans cesse que leurs institutions, leurs mythes, rites et croyances doivent être rapportés les uns aux autres, car ils forment des touts fonctionnels, c'est-à-dire tournés vers un même but. En 1944, Malinowski laissera derrière lui un testament théorique (Une théorie scientifique de la culture) notifiant que le but ultime de la culture est de satisfaire les besoins humains universels (sexualité, protection, religion, connaissance). Ses deux sources d'inspiration sont des sociologues : Herbert Spencer pour la notion de fonction, et Emile Durkheim pour son approche totalisante des faits sociaux. Si Malinowski a bien réussi, c'est aussi qu'il a renouvelé la pratique du métier : sur la base d'une enquête prolongée sur le terrain, en Mélanésie, il a produit une monographie, Les Argonautes du Pacifique (1922), qui devient un modèle à suivre. Titulaire de la première chaire d'anthropologie sociale à Londres, Malinowski a formé et envoyé sur le terrain une génération complète de chercheurs anglosaxons : Audrey Richards, Raymond Firth, Isaac Schapera, Lucy Mair, E.E. Evans-Pritchard et bien d'autres.