Antonio Gramsci Le combat pour l'hégémonie

Journaliste et militant italien, Antonio Gramsci développa depuis sa cellule les concepts d’« hégémonie », de « bloc historique » et de « nouveau prince » destinés à comprendre, à la suite de son compatriote Machiavel, ce qui fonde l’ordre politique.

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« Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans. » Telle était la consigne de Benito Mussolini, rapportée par le juge qui, en 1928, condamna Antonio Gramsci à un long emprisonnement. Peine perdue : si Gramsci, enfermé dans sa cellule, se trouva bien hors d’état d’agir politiquement, son cerveau ne cessa pas de fonctionner pour autant. Au contraire : la réclusion fut pour lui l’occasion de rédiger – dans des conditions difficiles, sous forme fragmentaire et non systématique – un ensemble de textes (Cahiers de prison) considéré aujourd’hui comme une contribution majeure à la théorie politique moderne.

Un journaliste rouge

Gramsci, pourtant, ne s’était pas dédié à la seule théorie : il se voulait, avant tout, un militant. Né en Sardaigne dans une famille modeste, confronté à la misère (après l’arrestation de son père, petit fonctionnaire accusé de détournement de fonds) et à la maladie (une tuberculose osseuse qui le rendra bossu), le jeune homme peut néanmoins poursuivre des études classiques au lycée de Cagliari, puis à l’université de Turin, où il entre en 1911. Dans la capitale piémontaise, qui est aussi le cœur industriel de l’Italie, il adhère au Parti socialiste italien (PSI). En 1915, il entre comme journaliste à l’hebdomadaire socialiste Il Grido del popolo (« Le Cri du peuple »), dont il assurera la rédaction en chef deux ans plus tard.

C’est dans la presse socialiste qu’il publie, en novembre 1917, un article resté fameux : « La révolution contre le capital ». Gramsci salue la prise de pouvoir des bolcheviks : selon lui, elle constitue non seulement une offensive politique contre la bourgeoisie russe, mais aussi un coup de force contre les théories du Capital de Marx et les « lois de l’histoire » qu’en avait tirées la IIe Internationale. Alors que Marx laissait penser que la révolution éclaterait dans les pays capitalistes développés d’Europe de l’Ouest, Lénine et ses partisans ont « fait éclater les schémas critiques à l’intérieur desquels l’histoire de la Russie aurait dû se dérouler, selon les canons du matérialisme historique ». Sentant l’histoire et la dynamique sociale mieux que bien des exégètes de Marx, les bolcheviks ont fait primer le volontarisme et l’ont emporté. Dès cet article se manifestent des traits qui caractériseront Gramsci toute sa vie durant : un rapport libre et non orthodoxe au marxisme, une grande attention aux situations concrètes, et une sensibilité intellectuelle (forgée à la lecture des philosophes « idéalistes » : Benedetto Croce, Giovanni Gentile, Henri Bergson…) qui le conduit à valoriser la volonté et les sujets historiques contre les formes trop strictes de déterminisme socioéconomique.

À la tête du PCI

Après la fin de la Première Guerre mondiale, l’Italie est balayée par une vague de contestations sociales sans précédent. C’est le biennio rosso : les paysans, les ouvriers se révoltent. Beaucoup pensent que le socialisme va triompher. À Turin se forment des « conseils d’usine » inspirés du modèle des soviets. Gramsci suit ces soulèvements avec enthousiasme. Dans L’Ordine nuovo, hebdomadaire qu’il fonde en 1919, il appelle de ses vœux une « démocratie ouvrière ».