Chaque année, des milliers de bénévoles distribuent des repas ou récoltent des fonds pour des causes humanitaires ; d'autres militent pour l'accès aux droits de ceux qui n'en ont plus, font pression sur les pouvoirs publics pour faire obtenir des logements à des familles mal logées ; d'autres encore enseignent le français à des migrants ou accompagnent des enfants dans leur travail scolaire...
Malgré cette diversité, est-il possible de mettre au jour des ressorts communs de l'engagement ? Pourquoi, au nom de quoi et de qui s'engagent les bénévoles et militants de la solidarité ? Comment leurs engagements se maintiennent-ils ou non dans la durée ? Les questions sont anciennes et les sciences sociales se sont attelées à y répondre depuis longtemps déjà. Elles montrent que motifs sociaux, matériels, identitaires, symboliques et idéologiques se combinent en permanence, que motivations altruistes et égoïstes sont toujours imbriquées. L'engagement de solidarité n'est réductible ni aux « intérêts » (rétributions, gratifications) ni aux normes héritées des socialisations politiques et du milieu (habitus de combat, sensibilités et cultures politiques) 1.
S'engager est toujours aussi être engagé, donc tenu et retenu par des collectifs et des contextes normatifs 2. Ainsi, loin d'être seulement la conséquence d'un choix personnel, un engagement est le résultat d'un processus d'ajustement, souvent fragile, entre une histoire sociale personnelle et une association qui le suscite et contribue à le justifier dans des conditions sociales et historiques particulières 3. On ne peut pas proprement parler de mutation de l'engagement associatif. Hier comme aujourd'hui, cette activité produit du sens. Si les attentes individuelles se maintiennent, les contextes de leur mise en œuvre et de leur satisfaction se sont cependant modifiés, donnant parfois l'impression d'un fort renouvellement des pratiques associatives de solidarité.
Des engagements apolitiques ?
Comme dans les années 1950, les bénévoles et militants s'engagent aujourd'hui parce qu'ils sentent que leur action est légitime : elle leur permet d'être du « bon côté de l'histoire », au coeur des enjeux de société, c'est-à-dire conformes aux normes valorisées dans un milieu, une époque 4. Quand la crise du logement devient aiguë, que la « fracture sociale » apparaît comme une cause nationale, que les médias mettent en avant la figure charismatique de l'abbé Pierre, l'association Droit au logement (Dal) s'impose par exemple comme un lieu où il semble normal de militer.
La multiplication des offres d'engagement (forte augmentation du nombre d'associations agissant pour la solidarité 5) contribue au brouillage de repères normatifs et idéologiques anciens. Au nom de quoi un bénévole choisira-t-il de s'engager au Secours populaire, au Secours catholique ou encore aux Restos du cœur ? La revendication d'une nouveauté des pratiques, des causes et des formes d'engagement conduit acteurs et associations à récuser les engagements passés, écrits dans des termes disqualifiés. On prétend aujourd'hui ne plus se soumettre mécaniquement à la discipline d'un parti ou d'une Eglise mais agir en réseaux, dans des lieux réputés souples et démocratiques, peu soumis à des appareils et à des bureaucraties 6. Les bénévoles et militants témoignent massivement vouloir agir localement avec un souci d'efficacité et de pragmatisme, plus qu'au service d'une organisation ou au nom d'une idéologie.
Une résurgence de la philanthropie ?
Les associations sont alors dans une situation paradoxale : pour être attractives, elles reprennent ce discours d'un engagement « moderne ». Elles se prévalent de l'apolitisme, de la neutralité, du consensus. Elles valorisent l'action autonome et pragmatique. Et ce, alors même que la transmission de l'histoire des engagements et le positionnement dans le champ politique restent des cadres indispensables aux actions.