Au commencement était l'âge d'or

Déjà politiques voire pamphlétaires, les utopies antiques sont à bien des égards annonciatrices du travail de Thomas More et de ses successeurs. Tour d’horizon de ces récits fondateurs.

Pour titiller un historien ou une historienne, rien de plus efficace que de l’accuser d’anachronisme. Pourtant, il est une exception à la règle : les utopies antiques. Alors que le néologisme « utopie » n’apparaît qu’au 16e siècle, le monde académique n’a pas peur de l’utiliser pour parler d’écrits rédigés… à l’ère gréco-romaine. Blasphème ? Pas si l’on se plonge dans les textes en question, précurseurs du genre et sources d’inspiration pour Thomas More et ses héritiers.

C’est au poète Hésiode que revient le titre d’auteur de ce que certains considèrent comme la première utopie. Au 8e siècle avant notre ère, il inaugure les récits du mythe de l’âge d’or dans Les Travaux et les Jours. Hésiode est alors en conflit avec son frère Persès, à cause d’un héritage. Hésiode veut raisonner son frère, lui montrer que l’argent n’est pas ce qui fait la valeur de l’existence (elle vient plutôt du travail sincère et de la justice, plaide-t-il). Pour le convaincre, il prend l’exemple de la mythologie.

Lorsque « les hommes et les dieux furent créés, écrit-il, les célestes habitants de l’Olympe créèrent l’âge d’or pour les mortels ». Un âge où les humains, « libres d’inquiétudes, de travaux et de souffrances », se délectaient de festins offerts par la nature et « partageaient leurs richesses avec une foule de vertueux amis ». Lui a succédé l’âge d’argent. Cette fois, les enfants des dieux « ne pouvaient s’abstenir d’injustice ». Ils « ne voulaient pas adorer les dieux » et « vivaient accablés de douleur ». Puis l’âge d’airain (fait d’« hommes violents et terribles ») l’âge des héros (un peu plus juste) et enfin, l’âge de fer (celui « qui règne maintenant »), où personne ne s’occupe plus de ses aînés dans une « brutalité » qui ne respecte « ni la foi des serments, ni la justice, ni la vertu ».

Le mythe de l’âge d’or

Selon l’helléniste Jean-Marie Bertrand, cette évolution dépeint successivement « les divers éléments de la structure de la société grecque contemporaine ». Dans le Dictionnaire des utopies 1, il explique aussi qu’en opposant des âges de malheur et de douleur à un âge idéal, ce mythe démontre « la possibilité de choisir la voie du bien ou du mal ». Les récits de l’âge d’or ne sont donc pas de simples illustrations de ce que pourrait être une société parfaite. Si les âges se dégradent au fil du temps, c’est à mesure que les humains abandonnent la vertu. Contrairement à Homère, qui a aussi imaginé des cités idéales (les Abii et Phéaciens) au cours du voyage de l’Odyssée, le voyage temporel d’Hésiode démontre que l’âge d’or se mérite. Que nous pouvons le perdre si nous n’en sommes pas à la hauteur. Nous avons là le premier sous-texte à visée de plaidoyer pour une société meilleure, « caché » dans un récit plus vaste. Comme L’Utopie.