Sciences Humaines : La décision, pour vous, ne serait pas un produit du raisonnement mais découlerait de l'action. Qu'est-ce qui vous a amené à tenir ce raisonnement ?
Alain Berthoz : Depuis une dizaine d'années, des découvertes scientifiques montrent à quel point certaines parties du cerveau (comme le cortex préfrontal, qui élabore les réflexions et d'autres aspects complexes de la pensée comme les opérations mentales sur l'espace ou le calcul) sont influencées par des zones cérébrales (le système limbique) impliquées dans l'émotion. De plus, le système limbique est impliqué non seulement dans l'émotion - par exemple, la peur de la vipère - mais aussi dans l'attribution de valeurs. La prise de décision résulte en fait d'une convergence des actions des zones du cortex préfrontal qui élabore les arguments « raisonnables », et du système limbique des émotions (dont les centres supérieurs sont aussi dans le cortex préfrontal).
Jusqu'à une période récente, ces relations entre l'émotion et la raison étaient largement sous-estimées. De plus, le système limbique est profondément ancré dans le corps, dans l'action. La nouvelle perspective, en grande partie promue depuis quelques années par le neurologue Antonio Damasio, mais aussi par de nombreux neurophysiologistes, considère que le cerveau qui élabore des perceptions sur le monde fonctionne à partir de l'action qu'on envisage. On a longtemps pensé que l'action était la conséquence des perceptions. En fait, nous percevons et évaluons le monde en fonction des intentions que nous avons, des actions que nous voulons mener. Faust a d'abord dit : « Au début était le verbe. » Puis il s'est repris : « Au début était la force. » Il affirma finalement : « Au début était l'acte. » Le cerveau est un simulateur d'action, un émulateur de réalité. C'est ce que j'ai soutenu dans mon livre Le Sens du mouvement (Odile Jacob, 1997).