Son visage est rougi par un mélange de colère et de honte. Son fils n’est pas rentré, elle ne sait pas où il est. Elle est silencieuse, assise devant moi, elle me regarde gênée. J’attends, n’osant pas briser cette pudeur. Et d’un seul coup, elle craque : les colères de son fils à la moindre frustration, les nuits à ne pas dormir, à guetter le bruit de la porte, le départ de son père quand il n’avait pas encore 6 ans, les journées à se demander comment s’en sortir, la solitude de journées devenues trop longues, et puis cette convocation devant un juge des enfants, ce sentiment d’avoir tout raté, d’être une mauvaise mère. Elle n’a rien contre moi, mais ma seule présence lui renvoie tout ce qu’elle n’a pas su ou n’a pas pu faire pour son fils. Une étrange recherche de normalité s’empare alors de nos échanges…
Durant mes quinze années passées dans le champ de la protection de l’enfance, j’ai rencontré des centaines de parents, certains étaient violents, maltraitants, d’autres négligents, et même absents. J’ai connu une mère qui a déposé la valise de son adolescente sur mon bureau, criant qu’elle ne voulait plus en entendre parler, puis partir sans un regard pour sa fille ; j’ai connu un père fuyant le domicile familial après avoir frappé son fils si violemment qu’il ne voyait plus que d’un œil. Ce furent des moments éprouvants, incompréhensibles à bien des égards, insensés à d’autres. Mais ces parents, qui ne le furent jamais vraiment, n’étaient qu’une minorité, la plupart étaient simplement perdus, confrontés à une situation qui les dépassait, viscéralement accrochés au désir de voir leur enfant grandir comme ils l’avaient rêvé. Presque tous cherchaient à comprendre, à refaire surface, aucun ne fuyait ses responsabilités, même s’ils ne savaient plus vraiment comment les exercer. La figure du parent démissionnaire est une image éculée qui s’accorde mal avec la réalité.