Au moment du printemps arabe, rien n’était plus banal que l’apologie des réseaux sociaux : ces technologies de libération ridiculisaient les censures, mobilisaient la jeunesse du monde pour des révolutions 2.0., donnaient accès à toutes les informations et stimulaient l’intelligence collective. Onze ans plus tard, « la faute des réseaux sociaux » est un leitmotiv médiatique : discours de haine et communautarisme, complotisme et infox, menaces sur l’esprit critique, manipulation par les Gafam 4, ingérences et désinformation, abrutissement et biais de confirmation… Que s’est-il passé ?
Une crise politique d’abord : en 2016-2017, l’élection de Trump, le Brexit, le référendum en Catalogne, les succès populistes, etc. D’où la tentation simplificatrice d’imputer ces votes « irrationnels » aux fake news et théories du complot 2.0. S’ensuivit une crise stratégique : Russie et Chine accusées d’armer trolls 5 et hackers 6 contre les démocraties libérales en une infoguerre high-tech.
S’est ajoutée, avec le covid-19, une « infodémie 1 » (propagation d’informations fausses et douteuses sur la pandémie, néologisme lancé par l’OMS). Qu’il s’agisse des origines du virus ou de ses remèdes, des vaccins, des mesures ou des contrôles, de l’efficacité des politiques d’État, des corrélations entre transmission, hospitalisation, mortalité…, il n’y a aucun sujet sur lequel on ne trouve de quoi nourrir les opinions les plus contradictoires. À une supposée « thèse officielle », s’opposent en quelques secondes en ligne des dizaines de chiffres, de vidéos, de déclarations de « scientifiques » qui accusent Big Pharma, Big Reset, Big Brother…