Mais comment fonctionne cette machine si bien huilée ? Car même si les connaissances sur le fonctionnement cérébral ont énormément progressé ces dernières décennies, la complexité du cerveau (et des connexions neuronales) le rend encore très hermétique à sa complète compréhension.
De plus en plus, l'approche pluridisciplinaire semble la meilleure pour aboutir à une connaissance approfondie de cet organe. Abordant un large champ scientifique, qui va de la biologie à la psychologie, les neurosciences cognitives tentent d'élucider le fonctionnement cérébral ; ce regroupement de compétences connaît une véritable explosion depuis une quinzaine d'années, ceci étant en grande partie dû aux progrès de la recherche médicale. On peut ainsi « lire » de plus en plus précisément l'activité cérébrale. Mais est-ce suffisant pour comprendre l'activité mentale, et de manière plus large, la pensée ?
De la perception à l'adaptation environnementale
Parmi les différentes activités mentales, la perception visuelle est au centre de notre quotidien : comment le cerveau transforme-t-il les signaux sensoriels en une perception cohérente du monde ? Comment pouvons-nous reconnaître des personnes et des objets familiers ? Les données apportées par la neuroanatomie sur la perception visuelle exposent de manière précise comment une image traitée par la rétine est transmise par les nerfs optiques jusqu'au cortex visuel primaire, dans le lobe occipital (à l'arrière du cerveau). Une fois la description des aires visuelles effectuée, les physiologistes doivent décrire le rôle de ces différentes aires. Certaines aires ou neurones sont-ils spécialisés dans le traitement d'un type spécifique d'information, ou le traitement est-il global ? Il apparaît effectivement que certains neurones sont plus sensibles à la couleur, d'autres à l'orientation des lignes. Le versant neurologique permet ainsi d'apporter des informations précieuses sur les différentes localisations, dans le cerveau, des traitements nécessaires à la vision. Les techniques d'imagerie cérébrale, comme l'IRM (imagerie par résonance magnétique), permettent de visualiser en temps réel l'activité du cerveau dans des tâches visuelles simples ou complexes. Mais le fait de comprendre les bases biologiques de cette activité ne suffit pas à comprendre comment on peut aboutir à la reconnaissance d'un objet, comment on arrive à distinguer un fauteuil Voltaire recouvert de velours d'une voiture de sport italienne. Les chercheurs en psychologie cognitive peuvent, par l'élaboration de théories et d'expériences, apporter des réponses. Le psychologue anglais David Marr a développé dans les années 80 un modèle de la reconnaissance visuelle des objets : d'un traitement des composantes des traits (obliques, courbes...), on aboutit à une reconnaissance unifiée de l'objet, en deux puis en trois dimensions, dépendante puis indépendante du point de vue de l'observateur, et enfin à la recherche en mémoire du concept auquel cette image va être associée.
Il existe différents types d'altération de la reconnaissance visuelle. L'un d'entre eux est caractérisé par l'impossibilité de reconnaître les visages. Après quarante ans de mariage, un patient ne reconnaît plus le visage de sa femme, le confond avec celui d'une autre personne et doit se baser sur sa voix, ou d'autres détails perceptifs, comme l'odeur de son parfum pour l'identifier. C'est l'observation clinique qui permet dans ce cas d'apporter de nombreuses informations sur le fonctionnement cognitif et cérébral. De nombreux outils de recherche, comme les tâches expérimentales ou les tests neuropsychologiques, complètent alors les techniques médicales. Face à certains patients, les neuropsychologues vont analyser quels mécanismes sont atteints, en utilisant entre autres les théories de chercheurs comme D. Marr. Le patient ne reconnaît-il pas les traits perceptifs du visage de sa femme, ou bien le problème vient-il de l'association d'un visage avec les connaissances sur l'épouse ? En plus des cas cliniques isolés, la compréhension du fonctionnement mental provient aussi des études de groupe : de patients, mis en liaison par rapport à leur atteinte cérébrale ou leur comportement anormal. Mais il existe de nombreuses variations entre les individus : les répercussions comportementales peuvent être différentes pour une même lésion, tout comme un même dysfonctionnement cognitif peut découler de lésions localisées dans deux zones cérébrales. De plus, deux lésions ne sont jamais strictement identiques. Toutes ces contraintes obligent les chercheurs à s'intéresser également aux opérations mentales des personnes saines, aussi dans le cadre d'études de groupes, sélectionnés selon différents critères (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, etc.). La conjonction des données issues de la neuroanatomie, la neurophysiologie, la psychologie cognitive et la neuropsychologie, permet d'augmenter notre connaissance sur le fonctionnement mental.