La gravité des problèmes sociaux suscités par le chômage au cours des deux dernières décennies a alimenté nombre de recherches en économie 1. L'accumulation des études n'a pas réduit les affrontements théoriques : mais elle a cependant permis d'approfondir les analyses concurrentes.
Aux sources du chômage : trois modèles
Jusqu'à la rupture de croissance intervenue au milieu des années 70, trois approches théoriques se confrontaient pour rendre compte du chômage : l'approche néoclassique, marxiste et keynésienne.
Pour l'analyse néoclassique, le marché du travail assure l'équilibre de l'offre et de la demande, dès lors que sont respectées les conditions de la concurrence pure et parfaite 2. Pour les entreprises, plus le salaire est élevé, plus leur demande de salariés diminue. L'offre de travail des ménages, augmente en fonction du salaire 3. Dans ces conditions, l'intersection entre les courbes d'offre et de demande détermine les niveaux d'équilibre du salaire et de l'emploi. A l'équilibre, il ne peut donc y avoir de chômage. Ou plutôt, il ne peut exister qu'un « chômage volontaire » : celui de personnes n'acceptant pas de travailler pour le taux de salaire d'équilibre. Dans ce cadre comment expliquer le « chômage involontaire » (celui de travailleurs acceptant le salaire du marché mais ne trouvant pas d'emploi) ? Tout simplement par le fait que les conditions de la concurrence pure et parfaite ne sont pas respectées.
L'analyse du chômage proposée par les marxistes est toute différente. L'explication est centrée sur le processus d'accumulation du capital qui commande le niveau d'emploi. La mise en valeur du capital suppose une pression permanente sur les salaires. Cette pression est notamment assurée par la présence d'une « armée de réserve industrielle » : les chômeurs et travailleurs précaires installés à la marge du marché du travail. Cette réserve est constamment réalimentée par les formes de la croissance capitaliste : destruction des activités précapitalistes, abaissement du taux de salaire qui impose le travail des femmes et des enfants, mécanisation qui supprime des emplois. Elle est périodiquement amplifiée par les crises cycliques de l'accumulation.
La troisième analyse traditionnelle du chômage est celle proposée par Keynes. Elle s'oppose à la conception néoclassique de l'équilibre du marché du travail. Il n'existe aucune raison pour que le niveau d'activité assure automatiquement le plein emploi. La situation la plus courante serait même celle « d'équilibre de sous-emploi » où la machine économique tourne sans employer tous les travailleurs disponibles. Seule l'intervention publique qui stimule l'activité en agissant sur la demande solvable permet de garantir la réalisation du plein emploi 4. Telle était donc, jusqu'au début des années 70, les interprétations dominantes du chômage. Mais l'apparition d'un chômage massif dans les économies capitalistes a conduit, au cours des vingt dernières années, à un réexamen des analyses. Ce réexamen s'est opéré dans deux directions : d'une part, l'analyse néoclassique (qui s'est enrichie en tenant en compte des imperfections de la concurrence), d'autre part, les analyses hétérodoxes telles que la théorie de la régulation, qui explique le passage d'une phase de quasi plein emploi à une phase de chômage persistant à partir d'une périodisation des modes d'accumulation du capital.